Un Maître aimant (Sagesse de Salomon 11,22–12,2)
[Seigneur,] le monde entier est devant toi comme un rien sur la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre. Pourtant, tu as pitié de tous, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur les péchés des humains en vue de la conversion. Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers rien de ce que tu as fait : si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé ! Comment quelque chose aurait-il subsisté, si tu ne l’avais pas voulu ? Comment aurait-il été préservé, si tu ne l’avais pas appelé ? En fait, tu es clément avec tous les êtres, parce qu’ils sont à toi, Maître ami des vivants, car ton souffle impérissable est en eux tous. C’est pourquoi, ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, et, leur rappelant en quoi ils font erreur, tu les avertis, pour que, se détournant du mal, ils se fient à toi, Seigneur.
L’auteur du livre le plus récent de l’Ancien Testament témoigne ici de ce qui, à ses yeux, est un trait essentiel du dieu auquel il croit. (C’est aussi ce que fait le psalmiste dont la phrase est reprise ci-dessus.) Dans la seconde partie de son livre, ce sage réfléchit à partir de divers épisodes de l’histoire d’Israël, en particulier l’exode. Il en tire des leçons qui rejoignent sa propre expérience de croyant. D’emblée, se basant sur les plaies d’Égypte, il affirme que Dieu est fort : « Ta grande force est toujours à ta disposition : qui résistera à la vigueur de ton bras ? » (Sagesse 11,21). C’est ce qu’il illustre par une double métaphore : face à Dieu, le cosmos tout entier ne pèse rien, pas plus qu’une goutte de rosée. Mais ce qui le caractérise est moins cette puissance que la maîtrise qu’il garde sur elle. Ce n’est pas elle qui lui dicte son agir, mais sa miséricorde. Celle-ci ordonne sa toute-puissance (« tu peux tout ») à la bienveillance, et l’amène à passer outre aux errances des êtres humains, dans l’espoir qu’ils trouvent le chemin du repentir.
Pour appuyer ces affirmations audacieuses, l’auteur prend appui sur ce qu’il croit du dieu créateur et sur ce qu’il constate autour de lui : les humains restent en vie même s’ils sont « pécheurs » c’est-à-dire s’ils font fausse route, s’ils chutent. Le sage y voit le signe que Dieu aime toutes les créatures, qu’il est un « maître ami des vivants », incapable de haïr ou d’éprouver de la répugnance pour ceux que lui-même a faits en les appelant à la vie. Voilà ce qui le conduit à épargner tous ceux qui sont animés par la puissance de son souffle vital. Non seulement il les croit capables de se convertir, mais il fait tout pour cela, comme le sage le souligne en finale. Quand un humain tombe, Dieu se fait pédagogue. Il commence par le reprendre en douceur, puis il lui fait voir l’erreur qui pourrait lui être fatale. Une telle leçon vise à le rendre lucide sur les conséquences dangereuses de sa façon de vivre. L’espoir de Dieu est que la personne comprenne que sa conduite est mauvaise, voire méchante, et que, ayant ainsi ouvert les yeux, elle s’en détourne pour se tourner avec confiance vers le dieu ami de la vie et des vivants.
Un peu plus loin, le sage poursuit la même réflexion : « Ta force est la source de ta justice et ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers tous. Il fait montre de sa force, celui dont le pouvoir absolu est mis en doute et il confond l’insolence de ceux-là même qui reconnaissent ce pouvoir. Mais toi qui maîtrises ta force, tu juges avec bonté et tu nous gouvernes avec tant de ménagements ». Il conclut : « En agissant ainsi, tu as appris à ton peuple que le juste doit être ami des humains et tu as rempli tes fils [et tes filles] d’espérance puisque tu offres le repentir pour leurs errances » (Sagesse 12,16-18a.19, trad. TOB légèrement modifiée).