Invitation à la joie (Sophonie 3, 14-18)
Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi et exulte de tout ton cœur, fille de Jérusalem ! Le Seigneur a écarté les sentences qui pesaient sur toi, il a éloigné ton ennemi. Le roi d’Israël, le Seigneur, est au milieu de toi. Tu n’as plus à craindre le malheur. Ce jour-là, on dira à Jérusalem : « Ne crains pas ! Sion, ne baisse pas les bras ! Le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi, héros qui apporte le salut. Il aura en toi son allégresse et sa réjouissance, il te renouvellera par son amour ; il s’exaltera pour toi avec des cris de joie. Les gens tristes, privés de fête, je les rassemble ! » : ils étaient loin de toi, comme un poids de honte sur elle (Jérusalem) ».
En ce dimanche dit « de la Gaudete » (« Réjouissez-vous »), il était inévitable que la première lecture (ainsi que la 2e, qui suit) soit un des nombreux appels à la joie qui résonnent dans les livres prophétiques. Le prophète Sophonie a vécu, comme Jérémie, au cours des dernières décennies pré-cédant l’exil à Babylone. Son message est essentiellement composé de jugements, de menaces et d’annonces de malheur. Car le Seigneur est juste (3,5) et il ne peut tolérer un mal qui suscite sa colère puisqu’il met en péril son œuvre de vie.
La finale du livre, dont sont tirées les quelques lignes ci-dessus, a un ton plus positif. Quand l’exécution des sentences divines aura éliminé les fauteurs de mal et les arrogants, le reste du peuple, des gens simples et pauvres, vivra dans la justice et la sincérité. Il pourra habiter en sécurité et en paix. Voilà pourquoi la communauté qui habite à Jérusalem (= la « fille de Sion / Jérusalem ») ainsi que le peuple d’Israël tout entier peuvent se réjouir sans retenue, comme le prophète les y invite avec une insistante marquée par l’accumulation de synonymes évoquant la joie. L’unique motif de cette allégresse, c’est le pardon du Seigneur qui a écarté « l’ennemi » qui empoisonnait la vie du peuple ; c’est la présence de Dieu au milieu des siens, en sauveur souverain ; c’est son amour qui régénère le peuple ; c’est le rassemblement de toutes celles et ceux qui, à cause de l’infidélité à Dieu et à son alliance, avaient été éloignés de leur patrie, à la plus grande honte de Jérusalem.
Invitation à la joie 2 (Lettre aux Philippiens 4,4-7)
Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos de-mandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus.
Cette invitation que Paul lance de sa prison aux chrétiens de la ville de Philippes fait écho à celle de Sophonie. Le motif profond de cette joie est analogue : le Seigneur se fait proche. Paul est cependant plus concret que le prophète. La joie dont il parle va en effet de pair avec d’autres attitudes qui pourraient être la marque de fabrique du chrétien. Sûr de la proximité du Seigneur Jésus, il se distinguera par une douceur bienveillante vis-à-vis d’autrui. Sûr que Dieu accueille favorablement prières et demandes, il se distinguera par la gratitude qui l’habite en tout temps, remède contre toute anxiété. Aussi connaîtra-t-il une paix profonde qui, par la sérénité qu’elle procure, permettra de rester ferme dans les difficultés de la vie, personnellement et en communauté. Le contexte de la lettre en effet laisse transparaître que la vie n’est pas un long fleuve tranquille pour la communauté chrétienne que Paul a fondée dans cette ville.
Conversion et baptême (Luc 3,10-18)
La foule [qui se faisait baptiser par Jean] l’interrogeait : « Que devons-nous faire ? » Il leur répondait : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! » Des collecteurs d’impôts vinrent aussi pour être baptisés et lui dirent : « Maître, que devons-nous faire ? » Il leur dit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. » Des soldats lui demandaient à leur tour : « Et nous, que devons-nous faire ? » Il leur répondit : « N’extorquez personne, n’accusez personne à tort ; et contentez-vous de votre solde. »
Or le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean répondit alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, le plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera avec le souffle saint et le feu. Il tient à la main sa pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amas-sera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera en un feu qui ne s’éteint pas.» Par beaucoup d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la bonne nouvelle.
Dans la seconde partie du message de Jean, le baptême est associé à trois éléments dynamiques de la création : l’eau, le vent (esprit) et le feu. Ces éléments jouent un rôle dans le récit que Paul présente comme le type du baptême (cf. 1 Corinthiens 10,1-2) : le « passage de la mer » Rouge quand Israël sort d’Égypte pour naître à une vie nouvelle, libre de tout esclavage (Exode 14).
L’eau est celle de la mer, symbole de la mort par engloutissement. Pour naître à la liberté, les Israélites ont dû entrer au cœur de la mer pour la traverser. Ce faisant, ils ont pris le risque de mourir. Plus exactement, ils sont morts à leur vie antérieure, à ce qui les liait, à ce qui les rendait complices de l’esclavage qu’on leur imposait, de l’injustice dont ils étaient victimes et de la violence qui leur était faite. Ainsi en va-t-il du baptême : l’immersion dans les eaux est signe d’une mort où périt le « vieil homme » afin que, débarrassé de tout esclavage, un être nouveau puisse naître (cf. Romains 6,1-11).
Le « souffle saint » correspond à la puissance créatrice de Dieu (cf. Genèse 1,2-3). Dans le récit du passage de la mer, ce souffle a deux fonctions. La première est de permettre à Dieu de parler à Moïse et, par celui-ci, au peuple : cette parole invite à la prise de risque, à la confiance, à l’espéran-ce. La seconde est de fendre la mer pour y tracer un chemin vers la vie pour Israël (Exode 14,21-22) : c’est ainsi que le Seigneur donne la vie au cœur de la mort, qu’il accorde la liberté à ceux qui ont pris le risque de quitter l’esclavage, la sécurité et la forme de confort qu’il représente. Si l’eau revêt un caractère négatif (la mort), le souffle est un élément positif (la vie).
Le feu est présent, en Exode 14, sous la modalité de la colonne de feu qui brille dans la nuit. Elle a diverses utilités : elle guide les Israélites dans leur marche vers la liberté ; en s’interposant entre le peuple et l’armée des chars de Pharaon, elle figure la protection de Dieu au cœur du danger ; en éclairant la nuit du côté des Israélites, elle est une présence rassurante qui leur insuffle le courage nécessaire pour aller de l’avant (Exode 13,21-22 ; 14,19-20). Ainsi, alors que les Israélites sont paniqués en voyant l’armée égyptienne lancée à leur poursuite, la présence de cette colonne de feu contribue à calmer la peur et à susciter l’indispensable confiance en Dieu.
Revenons à l’évangile de Luc. En parlant du baptême à la foule, Jean se donne en quelque sorte le mauvais rôle : son baptême est un baptême avec de l’eau, ce qui est signifié par l’entrée dans les eaux du Jourdain. Il vise donc à faire mourir ce qui doit mourir, poussant ainsi à renoncer aux com-portements mortifères de manière à mettre en place les conditions d’une vie nouvelle. C’est en ce
sens que vont les conseils qu’il donne à ceux qui viennent recevoir son baptême et lui demandent ce qu’il faut faire pour être en cohérence avec ce choix. Aux gens de la foule, il recommande de renoncer à garder égoïstement ce qu’ils ont (vêtements et nourriture) pour entrer dans la solidarité concrète avec les démunis. Aux collecteurs d’impôts, il demande de renoncer à cette forme de vol qui consiste à majorer les taxes à leur profit, privant ainsi autrui de ce qui lui revient. Aux soldats, il de-mande de renoncer aux exactions, aux accusations injustes et autres abus de pouvoir qui leur permettent d’arrondir leur solde. Ainsi, accepter le baptême d’eau, c’est entrer une démarche qui en-gage à renoncer à certains comportements caractéristiques d’une personne qui se met au centre de son monde et fait graviter les autres autour d’elle. Une telle mentalité engendre de la violence en-vers autrui, une violence plus ou moins perceptible.
S’étant réservé le baptême avec l’eau, le baptiste attribue à Jésus le souffle et le feu : le baptême donné par celui-ci sera donc directement porteur de vie et nourrira la confiance envers Dieu – si l’on comprend l’affirmation de Jean sur la base du texte de l’Exode évoqué ci-dessus. Pourtant, le commentaire que Jean ajoute a quelque chose de biaisé : c’est dans le prolongement de ce qu'il est lui-même, en effet, qu'il présente Jésus. Celui-ci est seulement plus fort que lui. Sur ce point, l’image qu’il emploie pour décrire ce que fera Jésus est claire : le souffle saint servira à emporter la bale et autres impuretés quand on battra les céréales ; avec le feu, il brûlera la paille. Bref, selon Jean, souffle et feu seront, pour Jésus, des moyens d’éliminer ce qui est inutile, de sorte qu’il ne gardera que ce qui nourrit, le grain. En cela, le baptiste pense la mission de Jésus sur le modèle de la sienne, entièrement axée sur la puissance. Dans la suite du récit de Luc, pourtant, Jésus s’inscrira dans une autre dynamique. Le souffle de Dieu sera sur lui pour proclamer une bonne nouvelle de vie et de liberté, une année de grâce de la part du Seigneur (cf. Luc 4,18-21). Quant au feu destructeur, Jésus refusera d’y recourir : il réprimandera Jacques et Jean quand ils lui demanderont de faire descendre le feu du ciel pour châtier les Samaritains qui ont refusé de l’accueillir (9,52-56).
Néanmoins, même si Jean le baptiste fait erreur quand il imagine ce que sera « le plus fort que lui », sa parole résonne comme une « bonne nouvelle » : en effet, elle dégage le terrain pour que la parole de Jésus puisse tomber dans une bonne terre.