Cette fois, c’est le Nouveau Testament qui fait l’objet de coupes, l’Apocalypse, en l’occurrence. Dans le texte qui suit, les parties à ne pas lire sont entre crochets : on ne va quand même pas lire une « Star war » avant la lettre, le jour de l’Assomption… Je complète donc le texte [entre crochets].


Une guerre dans les étoiles (Apocalypse 11,19–12,10)

Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et apparut l’arche de son Alliance dans le Sanctuaire, [et arrivèrent des éclairs et des voix et des coups de tonnerre et un tremblement de terre et une forte grêle]. Et un grand signe apparut dans le ciel : une femme revêtue du soleil, et la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans le travail et les douleurs d’un accouchement. Et apparut un autre signe dans le ciel : voici un grand dragon, rouge feu, ayant sept têtes et dix cornes, et, sur ses têtes, sept dia-dèmes, et sa queue entraîna le tiers des étoiles du ciel et les précipita sur la terre. Et le Dragon se posta devant la femme sur le point d’accoucher, afin de dévorer son enfant dès qu’il naîtrait. Et, elle accoucha d’un fils, un mâle, celui qui aura à faire paître toutes les nations avec un sceptre de fer. Et son enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où elle a une place préparée par Dieu [, pour qu’elle y soit nourrie pendant 1260 jours]. [Il y eut alors un combat dans le ciel : Michel et ses anges, combattirent le Dragon, et le Dragon combattait ainsi que ses anges, mais il ne l’emporta pas, et il n’y eut plus de place pour eux dans le ciel. Et il fut jeté dehors, le grand Dragon, le Serpent des origines, appelé Diable et Satan, celui qui égare le monde entier. Il fut jeté sur la terre, et ses anges furent jetés avec lui.] Et j’entendis une voix forte dans le ciel, qui disait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, et le pouvoir de son Christ ! [Car il est jeté dehors, l’accusateur de nos frères, lui qui les accusait devant notre Dieu, jour et nuit.] »

Si ce texte est proposé le 15 août, c’est parce que la tradition a vu la figure de Marie, la mère de Jésus, dans la femme ici mise en scène. Du reste, une des représentations classiques de la Vierge est inspirée de ce texte : posée sur un croissant de lune et couronnée d’étoiles, elle tient un nouveau-né dans ses bras. Cette lecture traditionnelle remonte apparemment aux IVe-Ve siècles. Le symbolisme du texte ne la corrobore qu’indirectement.

L’ouverture du sanctuaire divin est une façon d’introduire une nouvelle révélation (sens du mot grec apocalypsis). Dieu s’y manifeste comme celui qui a fait alliance avec l’humanité, ce que figure « l’apparition dans le ciel » de l’arche de l’alliance – une première apparition bien-tôt suivie de deux autres toujours « dans le ciel »). Cette manifestation est soulignée par des phénomènes qui, dans l’Ancien Testament, accompagnent les manifestations de Dieu ou théophanies (vor par ex. Exode 19,16.19 ; 1 Rois 19,11-12). Deux autres « signes » apparaissent ensuite : la femme et le dragon.

La femme anonyme prise dans les douleurs de l’accouchement rappelle Ève à qui ces douleurs sont annoncées (Genèse 3,16), de même que sa confrontation au dragon identifié plus loin au « serpent des origines » qui « égare le monde entier » (Genèse 3,1-6). Mais contraire-ment à Ève, cette femme échappe au serpent grâce à la protection de Dieu, comme le raconte la suite : on la voit fuir au désert où elle est nourrie (mais voir aussi 12,13-16). Par ailleurs, les prophètes de l’Ancien Testament recourent à l’image de la femme pour parler d’une ville ou d’un peuple ; plus précisément en Isaïe 66,7-8 et Michée 4,10, la femme qui accouche dans la douleur figure Israël en proie à l’adversité et à la souffrance, l’enfant représentant l’espoir d’une fin heureuse que le Seigneur permettra. Dès lors, la femme de l’Apocalypse, présentée comme une sorte de déesse honorée par les astres, symbolise le peuple fidèle qui engendre le Messie, celui qui, selon le Psaume 2,9, dirigera les nations en les soumettant « avec un sceptre de fer ». Comme l’annonce Genèse 3,16, la descendance de cette femme – le Messie, mais aussi chaque croyant – sera vainqueur du serpent et du mal que ce dernier sème au sein de l’humanité.

Face à la femme se dresse le dragon. Ses sept cornes figurent son immense puissance ; les couronnes qui les ornent, sa prétention à la royauté ; et sa queue balayant le tiers des étoiles, l’arrogant défi lancé au dieu créateur, garant de l’ordre du cosmos. Ce dragon est manifeste-ment l’adversaire de Dieu et de l’humanité, ce qui est explicité dans la seconde partie du texte : c’est « le grand Dragon, le Serpent des origines, appelé Diable et Satan, celui qui égare le monde entier ». Sachant la menace que fait planer sur lui la descendance de la femme, il guette la naissance du fils pour le dévorer sans délai. Mais le Messie mis au monde est enlevé par Dieu, image de la résurrection de Jésus, qui est aussi son intronisation, solennellement proclamée à la fin du texte reproduit ci-dessus (et déjà en 11,15). Quant à la femme – le peuple fidèle et ses « enfants », les croyants – elle est mise à l’abri, mais au désert, comme jadis les Hébreux libérés de la menace de Pharaon et nourris par Dieu. Cette situation durera 1260 jours, ou 42 mois ou encore 3 ans ½. Cette durée est reprise au livre de Daniel (7,25 ; 12,11). Elle « symbolise le temps précédant la parousie » (la seconde venue du Christ en gloire), le temps « du témoignage des chrétiens dans un contexte d’hostilité, de persécution » . Telle est la condition de l’Église dans l’environnement hostile qu’est l’empire romain pour elle.

La résurrection du Christ et son intronisation n’ont pas seulement une portée personnelle. Elles concernent aussi l’histoire humaine. C’est ce qui est développé dans le 2e paragraphe du texte ci-dessus racontant une lutte cosmique entre Michel (qui figure Dieu lançant son défi au mal : mi-ka-el, « Qui est comme Dieu ? ») et ses anges, d’une part, le dragon et ses suppôts, d’autre part. Une fois vaincu, le dragon est jeté avec les siens sur la terre. Là, il tente de s’en prendre à la femme, mais elle lui échappe par deux fois, sauvée par Dieu (Apocalypse 12,13-16, voir Exode 19,4 et Psaume 124). Furieux, le dragon se tourne alors vers la descendance de la femme – « ceux qui observent les commandements de Dieu et gardent le témoignage de Jésus » (12,17). Ainsi, si l’Église en tant que telle est sauve, ceux qui prennent le parti de Dieu sont en bute à l’adversité, en attendant la défaite définitive du dragon.

L’Apocalypse a été écrite pour soutenir l’espérance et la persévérance des chrétiens confrontés à un milieu hostile où l’auteur voit la présence active des forces de mal et de mort. C’est pourquoi elle ne cesse de répéter que la puissance du Mal n’aura pas le dernier mot, puisque le Ressuscité l’a définitivement emporté sur elle. Que le fidèle tienne donc bon, et qu’avec la communauté de ceux qui croient, il continue à mettre le Christ au monde, même si c’est dans la douleur.


Une visite en famille (Luc 1,39-56)

En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui ont été dites de la part du Seigneur. » Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se sou-vient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. » Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.

Le Magnificat – un pot-pourri de textes de l’Ancien Testament – exprime à sa manière comment Dieu vient à bout des forces inhumaines qui mettent la vie en péril. En cela, le chant de Marie rejoint d’une certaine façon le texte de l’Apocalypse. Dieu disperse les orgueilleux, il élève les humbles, il comble les affamés et renvoie les riches les mains vides. Ceux qui sont en situation de s’imposer aux autres se voient privés de leurs armes, ceux qui en sont démunis voient enfin reconnus leur dignité et leurs nécessités. En cela, Dieu est fidèle à lui-même et à l’amour qu’il a montré tout au long de l’histoire de l’Israël biblique. Non seulement il tient ses promesses à Abraham et aux ancêtres du peuple de l’alliance, mais il agit aussi comme il l’a fait pour les Israélites esclaves en Égypte, pour le jeune David ou pour les déportés à Babylone. Du reste, déjà Anne, la mère de Samuel chantait ce dieu qui inverse les destinées pour faire justice aux petits et aux marginaux (1 Samuel 2,1-10). Marie ne fait que lui emboîter le pas.

Ce chant repris en partie à Anne, Marie l’entonne dans une rencontre qui figure celle des deux Testaments, entre la vieille Élisabeth, enceinte du dernier des prophètes, et la jeune Ma-rie, enceinte du Messie. Le tressaillement d’allégresse du fils de la première est une sorte de jubilation de l’ancien qui attend le neuf comme un accomplissement. C’est l’Esprit de Dieu qui fait parler Élisabeth. En bénissant Marie, elle reconnaît que la vie de Dieu fait en elle son œuvre de salut. Mais, ajoute-t-elle, c’est parce que Marie a cru que les paroles qui lui ont été adressées s’accompliraient. À cela, Marie réagit par la louange. Loin de s’attribuer le mérite de ce qui s’est passé en elle, c’est vers le Seigneur qu’elle se tourne, vers celui qu’il a considérée, elle, la petite servante. C’est cette expérience qu’elle a faite avec « Dieu son sauveur » qui l’amène à généraliser les merveilles qu’il a réalisées pour elle dans sa miséricorde. Elle y re-connaît en effet la touche propre à Dieu, dont la puissance se déploie le mieux dans ce qui est faible (voir 1 Corinthiens 1,25-29).