Dieu va faire du neuf (Isaïe 43, 16-21)
Ainsi parle le Seigneur, lui qui met dans la mer un chemin et dans les eaux puissantes un sentier, lui qui fait sortir chars et chevaux, armée et puissants guerriers ; tous ensemble ils se couchent et ne se relèvent pas, ils sont éteints, consumés comme une mèche.
Ne faites plus mémoire des événements de jadis, les choses anciennes, n’y songez plus. Voici que je fais du neuf : il germe déjà, ne le saisissez-vous pas ? Oui, je mets un chemin dans le désert, des ruisseaux dans la steppe. Me rendront gloire des bêtes sauvages, chacals et autruches, parce que j’aurai donné de l’eau dans le désert, des ruisseaux dans les steppes, pour désaltérer mon peuple, celui que j’ai choisi. Ce peuple que je me suis façonné racontera ma louange.
Cet oracle qu’un disciple d’Isaïe adresse aux déportés judéens en Babylonie prolonge le fil qui unit les premières lectures des dimanches de ce carême. Par fidélité à sa promesse solennelle à Abram (1er dim.), le Seigneur décide de libérer les fils d’Israël esclaves en Égypte pour leur donner le pays promis et il appelle Moïse à collaborer avec lui (3e dim.). L’entrée au pays de Canaan sous la conduite de Josué vient sceller la réussite de ce projet de libération (4e dim.). Entre les deux (2e dim.), la sortie d’Égypte et la traversée du désert sont évoquées par le résumé de cette épopée en Deutéronome 26. C’est de ce grand récit que le passage d’Isaïe fait mémoire, à commencer par le miracle de la mer des Joncs : Dieu trace un chemin au cœur de la mer et il y attire la puissante armée de Pharaon qu’il a « fait sortir » de ses casernes en provoquant le départ des fils d’Israël. En refermant les eaux sur eux, ils les abat définitivement et ils s’éteignent aussi facilement qu’une mèche mouillée (cf. Exode 14). Ces faits sont évoqués au présent, comme c’est de règle dans les hymnes : en rappelant des événements passés, le poète fait des actions divines qu’il évoque une révélation de ce qu’il est en permanence pour son peuple. Le dieu « qui était » est aussi le dieu « qui est ».
Mais si c’est le dieu « qui est », c’est encore le dieu « qui vient » (cf. Apocalypse 1,8). Le prophète, en effet, ne rappelle l’épopée de l’Exode que pour inviter ses contemporains à ne pas confiner l’agir libérateur de Dieu dans le passé. Il convient plutôt de s’appuyer sur cet agir passé, qui témoigne de l’être permanent de Dieu, pour croire et espérer qu’il viendra au secours de ceux qui, comme les déportés, connaissent l’exil, le malheur, la mort. Pour eux, le Seigneur va faire du neuf… ou plus exactement, agir comme il l’a fait autrefois. Et le prophète d’évoquer la suite de l’aventure de l’exode en l’annonçant pour le futur : la traversée du désert où Dieu abreuvera son peuple d’une eau si abondante que même les bêtes du désert chanteront sa gloire pour ce cadeau inattendu. Pour le peuple que le Seigneur a choisi, ce peuple qu’il a modelé comme il modela le premier humain, ce sera l’occasion de le louer en racontant l’histoire de sa libération. Ils imiteront en cela leurs ancêtres qui, une fois libérés de l’esclavage, ont chanté la victoire de leur dieu (cf. Exode 15,1-18).
Pour rendre l’espoir à un peuple désorienté et désespéré, le prophète répète que le Seigneur est sans cesse à l’œuvre. Il renouvellera son don de vie quand ceux qu’il a élus et qu’il ne peut abandonner traverseront des lieux de mort. Que les déportés de Babylone ne vivent pas dans le regret du passé, comme si Dieu était seulement le dieu d’hier. Il est aussi le dieu d’aujourd’hui au creux de la mort que connaît son peuple. Il est le dieu de demain qui se prépare à lui rendre la vie. Quiconque voit, avec le prophète, par-delà les apparences, sait que la nouveauté est en train de germer. Il comprend que la mort est le lieu où Dieu travaille en secret à une vie nouvelle. Ainsi, en annonçant le salut à venir, le prophète anticipe déjà la foi en la résurrection – une foi qui est une manière d’affronter la mort dans la confiance et l’espérance en ce dieu qui « fait toutes choses nouvelles » (cf. Apocalypse 21,5).