Article header background
Répertoire
André Wénin
image

Présentation au Temple

« Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire ! »
(Psaume 24,7)

image

Le Seigneur dans son palais (Malachie 3,1-4)

[Ainsi parle le Seigneur Dieu :] Voici que je vais envoyer mon messager et il préparera un chemin devant moi ; et soudain entrera dans son palais, le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’alliance que vous désirez, voici, il entre – dit le Seigneur de l’univers. Qui pourra soutenir le jour de son entrée ? Quel est celui qui restera debout lorsqu’il paraîtra ? Car il est comme un feu de fondeur, comme une lessive de blanchisseurs. Il siégera en fondeur et en purificateur d’argent : il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme l’or et comme l’argent, et ils seront pour le Seigneur, ceux qui présentent une offrande en toute justice. Alors, sera agréable pour le Seigneur l’offrande de Juda et de Jérusalem, comme aux jours de jadis, comme les années d’autrefois.

Comme de coutume, mon meilleur ennemi a cru bon de ne pas tout garder de l’oracle prophétique choisi pour la fête de la Présentation au Temple. Distraction ? Censure volontaire ? Peu importe, il a omis le début, où le contexte de cette parole divine est campé et qui a donc toute son importance pour le sens. L’oracle relate une dispute entre le prophète et ses auditeurs à propos de la justice de Dieu. « Vous fatiguez le Seigneur par vos paroles, et vous dites “En quoi le fatiguons-nous ?” – En disant : “Quiconque fait le mal est bien aux yeux du Seigneur, en eux il prend plaisir”, ou bien “Où est le dieu du jugement ?” » (2,17). Le prophète dénonce ici ce qui déplaît à Dieu dans l’attitude de son peuple. Il y a, d’une part, ceux qui justifient les malfaisants et les encouragent, et d’autre part, ceux qui se plaignent que Dieu n’intervienne pas pour restaurer la justice. Dans ces deux types de locuteurs, on reconnaît sans peine d’un côté, les fauteurs de mal, et de l’autre, leurs victimes. Mais quoi qu’il en soit, cette façon de tirer Dieu à soi, que ce soit pour se justifier soi-même ou pour se plaindre de son éloignement, irrite profondément le Seigneur. Aussi va-t-il intervenir pour confondre les uns et les autres.

C’est la symbolique royale que le prophète Malachie convoque dans cet oracle. Le mot trop facilement traduit par « Temple » désigne avant tout un palais royal. Avant de s’y rendre, le roi divin se fait précéder par un messager. Pourtant, quand il y entre, c’est la surprise générale. Cette surprise révèle quelque chose des gens dont Malachie a relaté les paroles. Les premiers sont sûrs que rien ne peut leur arriver et les seconds font des reproches à Dieu sans croire vraiment qu’il peut intervenir. Ni les uns ni les autres ne s’attendent donc à ce que Dieu paraisse dans son palais. Ceux qui assurent que les fauteurs de mal sont du côté de Dieu disent le chercher ; ceux qui souffrent à cause d’eux disent désirer son intervention au titre de l’alliance et de la loi qui la régit. Mais quand il arrive pour de bon, ils ne peuvent soutenir son regard ni rester debout, comme le fait un juste faisant valoir son innocence devant le juge.

L’action de ce roi juge est double – mais simple pour le censeur ! Premier volet, le seul à intéresser notre ami : purifier le clergé de ses scories – c’est l’image du fondeur de métaux précieux –, le laver de ses taches – c’est l’image du blanchisseur. Cette purification est nécessaire pour que le culte soit agréable à Dieu. Second volet : « Je m’approcherai de vous pour le jugement et je me hâterai d’accuser les sorciers et les adultères, ceux qui font des faux serments, ceux qui oppriment salarié, veuve et orphelin, qui marginalisent l’étranger. Non : ils n’ont pas crainte de moi, dit le Seigneur de l’univers. » (3,5) Il s’agit ici de dénoncer le mal qui gangrène la société, ce mal qui, selon certains, serait bien aux yeux du Seigneur. Le prophète commence par pointer du doigt les idolâtres (visés par la double métaphore « sorciers et adultères »). En sacrifiant aux dieux du pouvoir, de la prospérité matérielle ou de la consommation, bref de la promotion de l’ego – dont le type est le dieu Baal –, ils pervertissent l’ensemble de l’existence humaine. Avec eux, impossible de se fier encore à ce qui est dit (faux serments), ce qui sape la confiance indispensable aux relations justes. Aucun respect non plus pour les personnes qu’ils considèrent socialement inférieures (salarié, veuve, orphelin, immigré), ce qui nourrit des relations inégalitaires et violentes. Et cela, à rebours du véritable désir du créateur de l’univers.

En intervenant en roi-juge, Dieu démentira les propos que l’on tient sur lui et qui l’irritent. Non : ceux qui font le mal ne sont pas ses amis. Oui : il est présent et les victimes des malfaisants peuvent avoir confiance en lui : il prendra bientôt leur cause en main.

image

Présentation de Jésus (Luc 2,22-40)

Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour leur purification, [les parents de Jésus] l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi du Seigneur : « Tout premier-né mâle sera appelé “saint pour le Seigneur” ». [C’était aussi] pour offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.

Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit saint était sur lui. Il lui avait été révélé par l’Esprit saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, il vint au temple. Au moment où les parents introduisaient l’enfant Jésus pour agir selon la coutume de la Loi le con-cernant, Syméon le reçut dans ses bras, et il bénit Dieu et dit : « Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu as préparé à la face de tous les peuples : lumière qui se dévoile aux nations et gloire de ton peuple Israël. » Le père et la mère de l’enfant étaient étonnés de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, et dit à Mariam sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi-même, ton âme, un glaive la traversera. Ainsi seront dévoilées les pensées du cœur d’un grand nombre. »

Il y avait une prophétesse, Anne, fille de Phanouel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge : ayant vécu 7 ans avec un homme après son mariage puis devenue veuve, elle était arrivée à l’âge de 84 ans. Elle ne s’éloignait pas du temple, rendant un culte jour et nuit par le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait sa reconnaissance envers Dieu et parlait de lui à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.

Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur bourgade de Nazareth. L’enfant grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.

Dans ce passage (cf. Ste famille-Année B où je reprends le commentaire), l’Ancien Testament est omniprésent. C’est une caractéristique du genre midrashique typique du début de l’évangile de Luc (et de Matthieu). Y est présente la Loi du Seigneur transmise par Moïse, mentionnée à cinq reprises pour insister sur le fait que les parents de Jésus s’y conforment scrupuleusement, après avoir, le 8e jour, circoncis et nommé l’enfant (relaté en Luc 2,21, voir Lévitique 12,3). Conformément aux instructions données en Exode 13, Jésus est présenté au temple et reconnu « mis à part (= saint) pour le Seigneur », tandis que sa mère est purifiée rituellement le 40e jour, selon le précepte de Lévitique 12,2.4. Le même précepte, lié à l’accouchement, prévoit le sacrifice d’un agneau : ceux qui n’en ont pas les moyens offrent à la place deux paires d’oiseau (Lévitique 12,6-8). L’insistance de Luc est claire : Jésus est un israélite, et ses parents l’inscrivent clairement au sein de son peuple.

(Petite parenthèse. Dans la Loi d’Israël, la « pureté » n’a rien à voir avec le sexe ou la morale. Est impur celui qui, ayant eu un contact avec la mort, ne peut s’approcher du dieu vivant pour lui rendre un culte, et cela, pendant un certain temps. S’approcher de Dieu suppose en effet que l’on ne soit en rien lié à la mort. Comme « le sang, c’est la vie » (Lévitique 17,11), tout écoulement de sang hors du corps, notamment à l’accouchement, est considéré comme un signe de mort et rend donc impur.)

Un premier personnage surgit alors : Syméon. Luc l’introduit comme un homme juste et religieux, représentant de l’Israël fidèle qui, en se conformant à la loi, attend la « consolation » annoncée par le prophète Isaïe (40,1 ; 49,13 ; 52,9). Cette consolation sera le fruit de la venue d’un sauveur, le « messie du Seigneur » dont les prophètes ont parlé sous l’inspiration de l’Esprit saint. Or, ce même Esprit a révélé à Syméon qu’il serait témoin de l’arrivée de ce « Consolateur », et il le pousse à se rendre au temple au moment les parents de Jésus s’y trouvent avec l’enfant. L’Esprit qui a inspiré les prophètes de l’Ancien Testament l’atteste ici par la bouche de Syméon : cet enfant apporte aux nations le salut que Dieu leur destine depuis qu’il a appelé Abraham à quitter son pays. Ce sauveur est la lumière qui va éclairer les ténèbres des païens et d’Israël, tout en manifestant la « gloire » de ce peuple particulier, autrement dit l’importance singulière qui est la sienne, puisque c’est au sein de son histoire que Dieu a patiemment préparé le salut de tous.

Mais des prophètes comme Isaïe ou Jérémie l’évoquent aussi : le salut apporté par le messie ne se fera pas sans mal, de même que la libération du peuple esclave par Moïse n’a été une sinécure pour personne, comme le raconte le récit d’Exode 1–15. La présence du libérateur provoquera crise, remise en question, bouleversement même. Face à lui, les gens dévoileront ce qui les anime intérieurement : beaucoup tomberont de leur piédestal (« Il renverse les puissants… ») tandis que d’autres relèveront la tête (« il élève les humbles et comble de biens ceux qui ont faim »). Ainsi, dans une ligne clairement ébauchée par l’Ancien Testament, Luc anticipe de manière voilée l’opposition que Jésus rencontrera au cours de sa vie, mais aussi la libération qu’il apportera à beaucoup. Syméon le dit en s’adressant à « Mariam, la mère » de l’enfant. Car elle-même aura à souffrir à cause de son fils. Plus loin Luc racontera : un jour où « sa mère et ses frères » arrivent pour le voir, Jésus répond sèchement à celui qui l’en informe : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en œuvre » (Luc 8,19-21). C’est l’unique passage de l’évangile de Luc où il sera question de la mère de Jésus après les pages consacrées à l’enfance (Luc 1–2) : le transpercement de son âme n’est donc peut-être pas une allusion à la Passion, comme on le dit souvent.

Après Syméon, Anne fille de Phanouel, « Face-de Dieu ». Après un homme, une femme. Après un juste, une prophétesse. Après celui qui vient au temple, celle dont le veuvage et le grand âge lui permettent de ne pas s’en éloigner. Après l’homme inspiré par l’Esprit, la femme qui ne cesse de rendre un culte comme Israël l’a fait au long des âges. Cette figure complète, pour ainsi dire, la représentation du peuple fidèle de l’ancienne alliance qui chante toute sa reconnaissance au dieu parce qu’il a enfin réalisé ce qu’il a promis par la voix des prophètes : libérer Jérusalem qui, ici, figure le peuple de l’alliance, comme en Isaïe 52,9.

Tous les éléments importants de ce passage visent donc dans une même direction : enraciner Jésus dans le « monde » de la première alliance. Sa Loi, ses rites, son temple, ses prophètes inspirés par l’Esprit, son peuple dévoué à son dieu dans le culte et dans l’annonce de sa fidélité sans faille, son attente de la délivrance d’Israël et d’un salut universel, son exigence de vérité même si elle doit déranger. Il anticipe aussi l’itinéraire de Jésus : sa grande montée vers Jérusalem où il sera consacré au Seigneur par sa mort, la présence agissante de l’Esprit saint (Luc 3,22 ; 4,1.14.18 ; 10,21 ; 12,10), la messianité de Jésus, son œuvre de discernement des esprits, et la libération révélée à tous.

image

Copyrights : Lawrence Lew OP