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Répertoire
André Wénin
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Second dimanche de Pâques

« Voici le jour que fit le Seigneur,
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !
»
(Psaume 118,24)

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Crédit photo : Lawrence Lew op

Des apôtres et des miracles (Actes des Apôtres 5, 12-16)

À Jérusalem, par les mains des apôtres, beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple. Tous les croyants, d’un même cœur, se tenaient sous le portique de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge ; de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur. On allait jusqu’à sortir les malades sur les places, en les mettant sur des civières et des brancards : ainsi, au passage de Pierre, son ombre couvrirait l’un ou l’autre. La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem, en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs. Et tous étaient guéris.

Chaque année, la première lecture proposée du 2e dimanche de Pâques est un passage du début des Actes des Apôtres qui décrit, sous forme de sommaire, la première communauté qui s’est formée à Jérusalem à la suite de l’annonce par les disciples de la résurrection de Jésus, le jour de la Pentecôte. Comme le livre des Actes compte trois sommaires de ce genre, il y en a un pour chaque cycle de lectures. Chacun insiste sur un aspect particulier de la vie communautaire : l’unité et le rayonnement des chrétiens (2,42-47, année A), la mise en commun volontaire des biens (4,32-35, année B) et les miracles qui manifestent la crédibilité des apôtres et de leur proclamation (5,12-16, année C). D’autres traits complètent ces thèmes principaux : l’assiduité à écouter l’enseignement des apôtres et la prière, l’agrégation de nouveaux croyants, le respect inspiré par la communauté.

En général, le thème dominant du sommaire est illustré par l’un ou l’autre épisode du début du livre. Pour ce qui est des miracles qui sont au centre du 3e sommaire, une guérison a déjà été racontée : celle d’un infirme de naissance qui mendiait à la porte du temple (Ac 3,1-10). Pour Pierre et Jean, cela a été l’occasion d’annoncer la résurrection du Christ qui a rendu la santé à l’homme guéri (3,11-26), mais aussi de rendre témoignage à leur maître devant les autorités judéennes qui prennent ombrage de leur succès (4,1-21). Au cours de la prière d’action de grâce pour la libération de Pierre et Jean, la communauté demande à Dieu d’étendre la main « pour que se produisent des guérisons, des signes et des prodiges par le nom de Jésus » (4,30). Ce qui est relaté dans le sommaire constitue la réponse de Dieu à la prière de la communauté. Le succès des apôtres relaté à la fin du sommaire a une conséquence inattendue : les autorités religieuses du peuple arrêtent les apôtres et les emprisonnent au vu et au su de tous, espérant sans doute les décrédibiliser. Miraculeusement libérés, ils se remettent à enseigner le peuple. Arrêtés de nouveau, ces hommes qui « préfèrent obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (5,29) en profiteront pour témoigner de l’exaltation par Dieu de celui que les chefs du peuple ont fait mourir en croix (1re lecture du 3e dimanche de Pâques C).

Manifestement, Luc, l’auteur des Actes, tient à montrer que « le disciple n’est pas au-dessus du maître » (Lc 6,40). Se réalise ainsi la parole de Jésus : « On mettra la main sur vous et l'on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues, on vous jettera en prison, on vous traînera devant des rois et devant des gouverneurs à cause de mon nom. Cela vous donnera une occasion de témoignage. Mettez-vous donc dans l'esprit de ne pas préparer votre défense, car je vous donnerai des paroles et une sagesse telles qu'aucun de vos adversaires ne pourra s'y opposer ni les contredire. » (Luc 21,12-15). Dans ce cadre, le sommaire met en évidence la similitude entre le maître et les disciples. De son vivant, Jésus a manifesté la proximité de Dieu par des miracles : après sa résurrection, les apôtres font de même, tout en mettant en évidence la fécondité de la mort de Jésus. Les miracles de celui-ci attiraient les foules de sorte qu’il pouvait les enseigner (Luc 4,40 ; 5,15). Il en va de même pour les apôtres après la résurrection. Ces mêmes miracles valaient-ils à Jésus critiques et condamnations de la part des autorités religieuses (Luc 6,7.11) ? Les apôtres font la même expérience, à la suite de leur maître. Dans la vie de la jeune Église, c’est bel et bien l’aventure de Jésus qui se poursuit.

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Crédit photo : Lawrence Lew op

Le Ressuscité, les Onze et Thomas (Jean 20, 19-31)

Le soir venu, en ce jour, le premier de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était au milieu d’eux. Il leur dit : « Paix à vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « Paix à vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront main-tenus. »

Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Jumeau, n’était pas avec eux quand il était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur dit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »

Huit jours plus tard, les disciples étaient de nouveau dans la maison et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées et il était au milieu d’eux. Il dit : « Paix à vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et croient. »

Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.

Comme pour les chapitres évoquant l’enfance de Jésus chez Matthieu et Luc, les récits sur la résurrection de Jésus varient beaucoup d’un évangile à l’autre. Ces récits sont de trois types : découverte du tombeau vide par des femmes ; apparition(s) à des individus ; apparition aux onze disciples avec leur envoi en mission. Dans ce cadre similaire, les contenus divergent. C’est que, lorsqu’il s’agit de raconter la résurrection, les évangélistes (à la suite des premiers témoins, sans doute) sont confrontés aux limites du langage humain. Ils doivent pour ainsi dire inventer des façons de dire l’indicible – comme voir à nouveau un mort qui se montre vivant. C’est sans doute pourquoi chaque évangéliste y va de ses propres histoires.

Après la découverte du tombeau vide par Pierre et le disciple bien-aimé (Jn 20,1-10), puis la rencontre de Marie de Magdala avec celui qu’elle prend d’abord pour le jardinier (v. 11-18), Jean raconte l’apparition aux disciples. La venue de Jésus est décrite deux fois de la même façon. Alors que les portes sont verrouillées, il arrive et se tient au milieu des disciples. Ses premiers mots sont identiques : « Paix à vous », vous qui avez peur de ceux qui ont mis votre maître à mort. Ce sont ensuite les plaies de la passion qui permettent aux disciples d’identifier clairement celui qui a surgi à l’improviste. Jésus les montre à tous la première fois ; il les donne à toucher à Thomas la seconde fois. Ces gestes amènent les Dix à le reconnaître avec joie, et Thomas à confesser solennellement que Jésus est Seigneur et Dieu.

Mais pourquoi raconter ces choses deux fois, alors que Matthieu et Luc ne le font pas, bien qu’ils relatent aussi des apparitions aux disciples ? Le but de l’évangéliste est probablement de suggérer que l’apparition de Jésus n’est pas une hallucination, mais que, même si l’expérience est indicible, elle n'en est pas moins réelle. Une seule apparition, ce pourrait être une illusion. Une seconde, huit jours plus tard, ne peut plus l’être. Que la chose soit incroyable, c’est sûr : l’exemple de Thomas est précisément là pour le souligner. Devant le témoignage unanime de tous les autres, il refuse de croire. Ils ont seulement « vu ». Mais si c’était un fantôme ? Lui, il veut toucher les marques permettant d’identifier sans aucun doute le Crucifié, mettre le doigt, la main dedans ! Certes, il ne le fera pas, mais ce ne sera pas parce que Jésus le lui aura refusé. Car sans être censé savoir ce que Thomas a dit à ses amis, le Ressuscité l’invite à poser les gestes qu’il a exigés comme condition de sa foi.

Tout cela est évidemment destiné aux destinataires du livre, visés par la dernière phrase que Jean prête à Jésus : « Heureux quiconque n’a pas vu et croit ». Invitation à s’en remettre au témoignage des apôtres dont le récit a montré qu’il s’appuie sur une expérience authentique de rencontre avec le Crucifié à nouveau vivant. Comme pour toute parole biblique, nul ne peut croire s’il ne se fie d’abord à la parole d’un frère ou d’une sœur, à son témoignage… Une façon de dire que, par essence, la foi en l’Autre passe par la confiance en l’autre.

La mission qui transforme les disciples en témoins du ressuscité (voir le texte des Actes) a sa source dans l’expérience de la rencontre de Jésus, rencontre que le 4e évangile évoque à sa manière par ce récit. Celui qui a l’initiative de l’envoi, c’est Dieu, « le Père » qui a envoyé son Fils pour que tout être humain puisse avoir la vie en abondance. À présent la mission du Fils se prolonge dans celle des croyants, à commencer par les disciples. L’Esprit descendu sur Jésus au commencement (Jean 1,32-33 ; 3,34), il le transmet comme il l’a annoncé à diverses reprises (7,37-39 ; 14,26 ; 15,26 ; 16,1). Cette transmission, il l’a effectuée en mourant (19,30 : « inclinant la tête, il transmit l’Esprit »). À présent, il invite les disciples à le recevoir après avoir « insufflé » (tout court). Le verbe utilisé ici par l’évangéliste est celui que la Bible grecque emploie pour dire que le créateur communique son souffle à l’être humain (Genèse 2,7, voir Sagesse 15,11), puis aux ossements desséchés pour qu’ils vivent (Ézéchiel 37,9). En ce sens, le don de l’Esprit fait des disciples des créatures nouvelles.

Par ailleurs, cet Esprit est associé par Jean au pardon des péchés, caractéristique de la nouvelle alliance, selon Jérémie (31,31-34). J’ai toutefois un problème avec la version liturgique d’une parole de Jésus (que j’ai conservée dans le texte ci-dessus). Trop calibrée pour fonder le pouvoir des clercs sur les consciences, cette traduction en devient suspecte. Littéralement, le texte dit ceci : « Ceux de qui vous pardonnerez les fautes, elles leur seront pardonnées, mais ceux de qui vous les dominerez, elles seront dominées ». Pour le pardon, le verbe est clair : il s’agit de laisser aller les fautes, d’en acquitter le coupable. La phrase qui suit n’exprime pas simplement le contraire. Le verbe grec krateô signifie, en effet, « être fort, dominer, prévaloir, saisir, contrôler ». En ce sens, Jésus ne donne pas aux disciples le pouvoir de « maintenir » le pécheur dans sa faute ou de le sanctionner comme pécheur. Il les invite plutôt à s’appuyer sur la force de l’Esprit pour maîtriser le mal qui assaille le pécheur lorsque le pardon est impuissant à lui donner la paix ; il les invite à faire prévaloir le bien sur ce mal pour que la vie l’emporte sur ce qui l’empoisonne.

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Crédit photo : Lawrence Lew op