Saul converti accepté par les apôtres (Actes 9,26-31)

Arrivé à Jérusalem, Saul cherchait à se joindre aux disciples, et tous avaient peur de lui, car ils ne croyaient pas qu’il était un disciple. Alors Barnabé le prit avec lui et l’amena aux Apôtres ; il leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur et qu’il lui avait parlé, et comment, à Damas, il s’était exprimé avec assurance au nom de Jésus. Dès lors, Saul allait et venait dans Jérusalem avec eux, s’exprimant avec assurance au nom du Seigneur. Il parlait aux Judéens de langue grecque, et discutait avec eux. Mais ceux-ci tentaient de le supprimer. Mis au courant, les frères l’accompagnèrent jusqu’à Césarée et le firent partir pour Tarse. L’Église était en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie ; elle se construisait et elle marchait dans la crainte du Seigneur ; réconfortée par l’Esprit Saint, elle se multipliait.

Je l’avoue : je ne vois pas grand-chose à tirer de cet extrait des Actes des Apôtres, qui achève le récit de la conversion de Saul, le persécuteur des « adeptes de la Voie », c’est-à-dire les disciples de Jésus (9,1-25). Je ne vois pas pourquoi ce passage anecdotique a été retenu, où l’histoire de la conversion est résumée en deux lignes, alors que l’histoire elle-même n’a jamais l’honneur de la liturgie du dimanche, et cela bien que Luc, l’auteur des Actes, la reprenne par trois fois (9,1-22 ; 22,3-16 et 26,9-18). En réalité, je soupçonne le censeur d’avoir retenu les passages des actes seulement pour « raconter » l’extension progressive de l’Église, sans intérêt pour la théologie que Luc s’efforce de mettre en récit.

Quand il arrive à Jérusalem, Saul vient de quitter Damas où il séjournait depuis son baptême. Là, des fidèles de la religion israélite se sont mis à comploter pour le faire périr parce qu’il démontrait à tous que Jésus est le Christ. Ils surveillaient même les portes de la ville jour et nuit pour pouvoir l’arrêter. Mais des disciples aident Saul à fuir en le descendant dans une corbeille le long de la muraille – exactement comme David, soustrait aux sbires du roi Saül par sa femme (1 Samuel 19,11-12). Arrivé à Jérusalem, il suscite d’abord la peur jusqu’à ce qu’il soit accepté par les apôtres et se mette à enseigner avec eux. En particulier, il tente de convaincre ses anciens coreligionnaires. Cela lui vaut de nouvelles inimitiés et de nouvelles menaces de mort, au point qu’on lui fait quitter la ville. Manifestement, l’homme ne laisse pas indifférent. Un converti dérange. On doute qu’il le soit vraiment. On lui demande de montrer patte blanche. Et sa fougue à défendre la foi qu’il a embrassée lui attire des oppositions parfois féroces. Mais malgré l’adversité, comme Jésus avant lui, Paul ira de l’avant…


Psaume 22 (v. 26b-29.31-32)

Devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses. Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ; ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent : « À vous, toujours, la vie et la joie ! » La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, chaque famille de nations se prosternera devant lui, car au Seigneur est la royauté, le pouvoir sur les nations ! […] Une descendance le servira ; on annoncera le Seigneur à la génération à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître, car il a agi !

Puisque l’extrait des Actes est assez insignifiant, je propose de jeter un regard sur le psaume. Il s’agit de la finale du psaume 22 qui commence par les mots célèbres : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ce cri se développe ensuite dans la longue plainte d’un ami de Dieu. Condamné et rejeté par tous, cet innocent est en train de mourir lamentablement sous le regard de gens hostiles ou indifférents. Il se tourne alors vers son Dieu, le seul qui, à ses yeux, puisse encore le sauver des puissances de mort qui vont le broyer. Même s’il se sent abandonné de lui, c’est vers lui qu’il élève son cri, jusqu’à ce qu’il s’écrie : « Tu m’as ré-pondu ». La plainte et le cri se changent alors en un chant de louange qui occupe la fin du poème.

Que Jésus ait ou non prononcé les premiers mots de ce psaume sur la croix, comme les évangiles de Marc et Matthieu le disent, il est certain que les disciples y ont vu une anticipation de la passion et de la résurrection de leur maître. Les nombreuses citations dans le récit de la passion de ces deux évangiles l’attestent. Au demeurant, c’est ce genre de textes qui leur a permis de dépasser le scandale d’un messie mort de manière infamante pour y percevoir le dessein paradoxal de Dieu. Il est donc légitime de relire la louange qui termine le psaume comme une évocation de la joie de la résurrection dans laquelle Dieu « a répondu » au cri de Jésus.

Pour le comprendre, lisons d’abord les versets 23-26a qui font suite à la réponse de Dieu et précèdent le passage utilisé dans la liturgie. Ils prennent un sens étonnant quand on pense à ce qui a suivi la résurrection, selon le récit des Actes des Apôtres. Voici adressés à Dieu par le psalmiste :

Tu m’as répondu. Et je raconte ton nom à mes frères, en pleine assemblée, je te loue : « Vous qui craignez le Seigneur, louez-le ; toute la descendance de Jacob, glorifiez-le ; tremblez devant lui, toute la descendance d’Israël. Car il n’a pas eu mépris ni dégoût de l’humiliation de l’humilié ; il ne lui a pas caché sa face et quand il criait vers lui, il a entendu. » C’est de toi que vient ma louange dans la grande assemblée ; et devant ceux qui le craignent, j’accomplirai mes vœux…

Le juste auquel Dieu a finalement répondu en l’arrachant à la mort ne peut garder sa joie pour lui : il se tourne vers ses frères, ceux qui, comme lui, mettent en Dieu leur confiance (« le craignent », selon les mots du psaume). Il les rassemble et il chante devant eux ce que le Sei-gneur a fait pour lui en les invitant à le louer, à le glorifier, à s’extasier devant lui (« trembler », dit-il, comme quand une émotion violente vous secoue face à un spectacle époustouflant). Mais pourquoi louer ainsi le Seigneur ? Parce qu’il s’est fait proche de l’humilié devant qui tous se voilaient la face et qu’il a entendu le cri que lui arrachaient ses bourreaux.

En plus de louer Dieu publiquement, l’homme sauvé accomplit les vœux qu’il a faits dans l’es¬poir d’une réponse d’en haut. La suite permet de penser qu’il offre, en sacrifice à Dieu, une bête dont une partie sera distribuée aux pauvres qui gravitent autour du temple. Ainsi, eux aussi bénéficieront du salut accordé par Dieu : ils mangeront, se rassasieront et seront dans la joie, louant le Seigneur à leur tour. Ainsi, de proche en proche, la louange gagnera la terre en-tière. Les gens se tourneront vers Dieu, ils se prosterneront comme devant leur roi (les puis-sants eux-mêmes devront s’y plier, précise le verset 30, « oublié » par un censeur ecclésias-tique apparemment soucieux de protéger ceux qui exercent le pouvoir…). Ensuite, après s’être répandue dans l’espace, la louange se prolongera aussi dans le temps : elle touchera la généra-tion à venir, à qui on racontera le Seigneur et ses œuvres justes.

Dans cette partie, le psalmiste énumère trois motifs pour lesquels le Seigneur mérite la louange universelle : « car il n’a pas eu mépris ni dégoût de l’humiliation de l’humilié ; il ne lui a pas caché sa face et quand il criait vers lui, il a entendu » (v. 25) ; « car au Seigneur est la royau-té, le pouvoir sur les nations ! » (v. 29) ; « car il a agi » (v. 32b). Je reprends ces phrases en par-tant du dernier motif qui résume à l’extrême les deux précédents : « il a agi » lorsqu’il a en-tendu le cri de l’humilié que tous rejetaient, et qu’il a répondu à sa supplication. C’est en cela qu’il peut être reconnu comme un roi digne d’exercer son pouvoir sur les nations. Voilà une conception du « règne » de Dieu étrangement proche de l’évangile, un règne qui, selon la première béatitude, appartient aux pauvres, à ceux qui sont insignifiants aux yeux du monde (voir Luc 6,20).


La véritable vigne (Jean 15,1-8)

[Jésus disait à ses disciples] : « Moi, je suis la véritable vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage. Mais vous, déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite. Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.

Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples. »

Après la métaphore du berger (4e dimanche), en voici une autre. L’auteur du 4e évangile l’a sans doute trouvée dans l’Ancien Testament. La seconde partie du psaume 80 (v. 9-17) compare le peuple d’Israël à une vigne que Dieu a arrachée d’Égypte pour la replanter en Canaan. Il fait tout ce qui est nécessaire pour qu’elle porte du fruit partout dans le pays, puis il la délaisse et elle est ravagée par des étrangers. Jérémie reprend la même image en expliquant que le malheur vient de ce que la vigne a dégénéré (2,21). On se souviendra aussi du chant de la vigne où le prophète Isaïe explique de la même façon la ruine d’Israël causée par l’injustice et la violence dont il s’est rendu coupable (5,1-7, voir aussi Osée 10,1-2). Le thème de la vigne figurant le peuple de Dieu est repris dans l’évangile de Marc (12,1-11 et ses parallèles en Matthieu et Luc) : dans une parabole, Jésus dénonce non plus la faute du peuple comme c’est le cas dans l’Ancien Testament, mais celle des chefs, « vignerons meurtriers » qui tuent les prophètes et s’apprêtent à faire de même avec Jésus.

La métaphore change du tout au tout dans l’évangile de Jean : la vigne, dit Jésus, ce n’est pas le peuple. C’est Jésus lui-même, la vigne véritable et c’est donc la relation avec lui qui constitue le corps des disciples, l’Église. Peut-être y a-t-il ici un écho de la fin du psaume 80? Constatant que la vigne est ravagée, le psalmiste supplie Dieu de la restaurer. Il évoque un « fils » dont il est la force, d’un « homme à la droite de Dieu » qui ramènera le peuple vers son Dieu.

Dieu de l’univers, reviens donc, regarde du haut des cieux et vois : interviens pour cette vigne ; protège ce que ta droite a planté et le fils que tu as rendu fort. […] Que ta main soit sur l’homme qui est à ta droite, sur le fils d’homme que tu as rendu fort. Alors, nous ne nous éloignerons plus de toi ; tu nous feras vivre et nous invoquerons ton nom.

C’est bien en ce sens que Jean développe la métaphore, en y ajoutant le thème de la fructification du disciple. Voici ce que Jean Zumstein écrit à ce propos : « Les v. 1-4 [ci-dessus, 1er para-graphe] évoquent comment il est possible d’être le disciple de Jésus, les v. 5-8 [2e paragraphe] donnent un contenu à la vie du disciple. […] La relation entre Jésus et le croyant est décrite à la fois comme don et comme une mise en responsabilité. Un don parce que “porter du fruit” est entièrement fondé sur le “demeurer en Christ”, une mise en responsabilité parce que “demeurer en Christ” doit se concrétiser dans le fait de “porter du fruit”. Il n’y a pas de don sans mise en responsabilité, mais inversement pas d’exercice de la responsabilité qui ne trouve sa source dans le don. » (Dans C. Focant, D. Marguerat [éds], Le Nouveau Testament commenté, Montrouge-Genève, 2010, p. 485.)