Le 4e dimanche du temps pascal est connu comme le dimanche « du Bon pasteur » à cause de la lecture évangélique extraite du ch. 10 de l’évangile de Jean qui développe la parabole de Jésus pasteur.


Le témoignage de Pierre devant les autorités (Actes 4,8-12)

Pierre, rempli de l’Esprit Saint, déclara : « Chefs du peuple et anciens, nous sommes interrogés aujourd’hui pour avoir fait du bien à un infirme, [pour savoir] comment cet homme a été sauvé. Sachez-le donc, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël : c’est par le nom de Jésus Christ le Nazaréen, lui que vous avez crucifié mais que Dieu a réveillé d’entre les morts, c’est par lui que cet homme se trouve là, devant vous, bien portant. Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés. »

Le discours de Pierre aux « hommes d’Israël », lu partiellement dimanche dernier (3e de Pâques B), amène un certain nombre d’auditeurs à se convertir, tandis que les autorités judéennes (« les chefs, les anciens et les scribes qui se trouvaient à Jérusalem, avec Hanne le grand prêtre, Caïphe, Jean, Alexandre et tous les membres des familles des grands prêtres », bref, tout le gratin) sont excédées de voir ces deux disciples de Jésus instruire le peuple et annoncer la ré-surrection (et donc leur défaite puisque, si elle est réelle, cette résurrection dénonce l’iniquité et la violence qu’ils ont déchaînée contre le Juste). Ils arrêtent donc Pierre et Jean et les mettent en garde à vue. Le lendemain matin, ils les interrogent. Pierre leur répond (c’est le texte ci-dessus).

En Luc 12,11-12, Jésus dit aux disciples : « Lorsqu’on vous amènera dans les synagogues, devant les chefs et les autorités, ne vous inquiétez pas de savoir comment vous défendre et que dire, car l’Esprit saint vous enseignera, en cette heure-même, ce qu’il faut dire ». C’est bien ce que Luc souligne ici au moment où Pierre prend la parole pour se défendre, « rempli de l’Esprit saint ». En substance, ce qu’il déclare aux autorités rejoint ce qu’il a dit au peuple, mais en plus direct, en plus cassant. La guérison opérée par son intercession, l’infirme la doit à Jésus. Et puisque les chefs (tout comme le peuple) ne savaient pas ce qu’ils faisaient quand ils ont tué Jésus, ils doivent le savoir à présent : l’homme de Nazareth qu’ils ont crucifié, c’est le Christ, le Messie. Mais Dieu ne l’a pas laissé dans la mort, accomplissant ce qui est écrit au Psaume 118,22 : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Ici Pierre personnalise la citation : ces bâtisseurs, c’est vous, vous qui êtes capables d’achever la citation par vous-mêmes et donc de comprendre que ce renversement inattendu « c’est l’œuvre du Seigneur » (v. 23), une œuvre par laquelle Dieu fait de Jésus celui par qui advient le salut.

La suite immédiate mérite un bref détour (Actes 4,13-14) : « Lorsqu’ils virent l’assurance de Pierre et de Jean, [leurs interlocuteurs] furent étonnés, car ils savaient que c’étaient des hommes du peuple sans instruction et ils les reconnaissaient pour avoir été avec Jésus. Mais comme ils voyaient debout avec eux l’homme qui avait été guéri, ils n’avaient rien à répliquer. » En réalité, la liberté, l’aplomb et le courage dont les deux disciples font preuve au cours de l’interrogatoire sont le signe que la résurrection de Jésus les a profondément transformés. Cela vient corroborer l’autre signe que Pierre vient d’invoquer : l’homme guéri, debout avec eux. Face à ces renversements inattendus, les autorités judéennes sont à quia – d’autant qu’elles savent que le peuple est dans l’action de grâce pour la guérison dont il a été témoin. Faute de pouvoir répondre aux apôtres, après délibération entre eux, elles tenteront une autre tac-tique : les menaces et l’intimidation… En vain.


Le bon pasteur (Jean 10,11-18)

[En ce temps-là , Jésus déclara] : « Moi, je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour les brebis. Le salarié qui n’est pas le berger, les brebis ne sont pas les siennes : voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit – alors, le loup s’en empare et les disperse – parce qu’il est un salarié, et il ne se préoccupe pas des brebis. Moi, je suis le bon berger je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai aussi d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix et elles deviendront un seul troupeau, un seul pasteur. C’est pour cela que le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne me l’enlève : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : tel est le commande-ment que j’ai reçu de mon Père. »

Ce passage bien connu s’inscrit dans une longue série de textes bibliques qui exploitent la métaphore du berger. D’abord – et fondamentalement –, le berger, c’est Dieu. Jacob le reconnaît à la fin de sa vie : « C’est Dieu devant qui ont cheminé mes pères Abraham et Isaac ; c’est Dieu qui me fait paître depuis que j’existe jusqu’à ce jour… » (Genèse 48,15). (On notera que, de façon très bien observée, le berger est celui « devant qui » le troupeau marche. Le troupeau ne le suit donc pas !) Le Psaume 23 fera écho à Jacob : « Le Seigneur est mon berger… ».

Le berger, c’est aussi le leader du peuple. À commencer par Jacob, l’ancêtre à qui Israël doit son nom. C’est en quelque sorte par procuration que ces leaders sont bergers puisque le seul et vrai berger, c’est Dieu. Le premier et le plus grand d’entre eux, Moïse, commence par être berger (Exode 3,1), avant de devenir celui du peuple qu’il conduit à travers le désert (Psaume 77,21). De même, David, que Dieu vient prendre de derrière son troupeau pour en faire le berger d’Israël (1 Samuel 16,11 ; 2 Samuel 7,8 ; Psaume 78,70-72). À sa suite, les rois auraient dû être des pasteurs à son image, mais au lieu de prendre soin de leurs bêtes, ils les ont exploitées à leur seul profit ; dès lors, Dieu va leur arracher son troupeau pour s’en occuper lui-même et les protéger de ses agresseurs ; il les confiera à un nouveau David (Ézéchiel 34). Une caractéristique est commune à Jacob, Moïse, David et les rois : c’est toujours du trou-peau d’un autre qu’ils sont chargés…

Le Psaume 23 auquel je fais allusion ci-dessus évoque à propos de Dieu les tâches d’un berger : conduire le troupeau, le mener vers des pâturages et les points d’eau, lui assurer le repos, le défendre contre les agressions… Jean, lui, résume cela à l’extrême : le vrai berger « met sa vie à la disposition » de ses brebis, selon le sens du verbe grec traduit en général par « donner ». C’est ce qui différencie le berger à qui appartiennent les bêtes, et le salarié qui s’en occupe contre rétribution, donc finalement en vue d’un profit personnel. C’est ce qui ex-plique qu’il ne se mette pas en danger face au loup, au contraire de Jacob qui s’est occupé du bétail de son beau-père de façon exemplaire (Genèse 31,38-40) – du moins c’est ce qu’il dit – et surtout au contraire de David qui affronte le géant Goliath menaçant Israël, comme il com-battait les fauves s’en prenant au troupeau de son père – de nouveau selon ses propres dires (1 Samuel 17,34-36).

Dans la ligne des autres évangiles qui exploitent l’image à propos de Jésus (Matthieu 25,32 ; Marc 6,34 ; Luc 15,3-7 ; voir la lettre aux Hébreux 13,20 et la 1re lettre de Pierre 2,25), Jean reprend la comparaison pour camper Jésus comme le vrai pasteur, le vrai roi d’Israël. Bien que l’image induise l’idée d’un pouvoir vécu comme un service, l’évangéliste développe d’autres harmoniques, en particulier la connaissance mutuelle – la communion – entre le pasteur (Jésus) et ses brebis (les disciples). Il y a aussi le désir de Jésus d’agrandir le troupeau et de l’unifier, autrement dit de faire « sauter les barrières d’Israël » de sorte que « les brebis d’un autre enclos rejoignent le troupeau pour en former un seul dont le dénominateur commun est désormais l’écoute de la seule voix du seul berger » (Jean Zumstein). Mais le Leitmotiv de ce passage, c’est la vie donnée, ou plutôt « déposée », à l’image peut-être du Serviteur du Seigneur dont Isaïe dit que « sa vie est livrée (ou donnée) jusqu’à la mort » pour que vivent les pécheurs (Isaïe 53,12). La finale des paroles de Jésus va d’ailleurs en ce sens, car elle propose une interprétation de sa mort et de sa résurrection. Jésus, en effet, évoque sa liberté dans le don de sa vie, affirme sa capacité à la recevoir à nouveau, parle de son union au Père qui l’aime précisément pour ce don de lui-même et qui lui remet en quelque sorte le pouvoir sur sa propre vie… Cette association entre la métaphore du berger et la passion est à peine ébauchée chez Marc et Matthieu (Mc 14,27 // Mt 26,31) ; elle est donc propre au 4e évangile, mais n’est pas sans appui dans la figure de David (voir ci-dessus).