L’Occident chrétien accorde une grande importance à Noël, ce qui a nourri tout un folklore mâtiné d’un certain romantisme et bien d’autres choses moins évangéliques encore. Pourtant l’année ne commence pas le 25 décembre, mais le 1er janvier, soit le 8e jour après la naissance de Jésus. Ce jour correspond à celui de la circoncision de l’enfant mâle dans le judaïsme (voir Genèse 17,12). Le 1er janvier, c’est donc la circoncision de Jésus qui est centrale, comme le souligne l’unique verset du texte de Luc 2 qui n’a pas déjà été lu à la messe de l’aurore de Noël : « Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision, l’enfant reçut le nom de Jésus, le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception » (2,21).
Ce qui inaugure une nouvelle année, ce n’est donc pas la naissance, mais la circoncision qui souligne que Jésus est juif. Or, selon Genèse 17, la circoncision est le signe de l’alliance. Elle inscrit dans la chair la nécessité d’accepter le manque, la perte, l’incomplétude, comme condition d’ouverture à autrui et d’une vie féconde parce que non dominée par le désir de posséder. Elle marque aussi l’entrée dans une façon d’être où l’on consent à être différent, singulier, unique, et donc non déterminé par le désir d’autres humains. La circoncision de Jésus ne pourrait-elle être pour les chrétiens et les chrétiennes une invitation à entrer dans l’alliance d’Abraham, puisque la descendance de celui-ci est également spirituelle ? Une invitation, aussi, à assumer cet héritage juif consistant à consentir à sa propre différence et à celle de l’autre pour pouvoir construire de justes relations ?
Dans l’Église catholique, la circoncision de Jésus a longtemps fait l’objet de la fête du 1er janvier. Mais le 2 février 1974 (un jour de fête mariale !), elle a été abolie au profit de « Marie mère de Dieu ». Paul VI avait certainement de bonnes raisons pour le faire. Mais que penser du résultat ? Occulter le fait que Jésus était juif (comme tous les premiers chrétiens, du reste) est-ce une avancée, quand on sait comment ce peuple a été traité dans l’Occident chrétien au long des siècles ? Mais il y a pire. En dédiant ce jour à Marie-la-mère, ne répète-t-on pas ce qui est déjà au cœur de Noël ? Noël, c’est le jour de l’enfant de la mère ; le 1er janvier, celui de la mère de l’enfant. Où est donc passé le père ? Qu’est devenu celui qui circoncit le fils, lui impose une perte, le marque d’un manque et le détache de la fusion avec la mère pour l’ouvrir à d’autres relations et au monde ? C’est pourtant là que les choses commencent vraiment. Et de même que l’année nouvelle commence le 1er janvier, l’étape décisive de l’histoire du salut s’inaugure avec la circoncision de celui qui, un jour, sera tellement bien coupé de sa mère qu’il dira : « Qui sont ma mère et mes frères, sinon ceux qui font la volonté de mon père ? » (Matthieu 12,46-50).
Décision navrante que celle de Paul VI. Mais tellement catholique !