Ce n'est pas un travail vite fait que d'aimer. Ah ! s'il te suffisait d'être une âme attendrie ! Mais repousser en toi ton coeur où le fiel crie et loin des lèvres, goutte à goutte le calmer.
L'oublier seul au fond de sa misère sombre Pour en aider un autre, un pareil faible aussi, Qui tombe à l'abandon, qui s'est perdu dans l'ombre Et qui n'a plus de route à travers son souci. Le prendre en toi, ce coeur de l'homme qui chemine, Au lieu du tien - le tien n'a pas besoin de toi - Et le porter patiemment dans ta poitrine Tous les jours, pauvre, ou fol, ou les deux à la fois. Laisse couler sur toi l'ombre qui le tourmente, ses plaintes, ses griefs, ses craintes, ses regrets,- Dont il se pourrait bien que l'un ou l'autre mente - Ses reproches oiseux, ses frivoles secrets ; Choisir pour le bercer, apaiser tes paroles ; Chasser l'une après l'autre à travers l'entretien Ses chimères, ses peurs, comme des mouches folles Qui reviendront l'une après l'autre... tu sais bien... T'éloigner s'il lui plaît, revenir la première, Partir à son secours mille fois en avant, Retourner pour l'aider mille fois en arrière, Mille fois te quitter pour le suivre à tous vents ; Rester là devant lui comme un pain sur la table Dont chacun prend et laisse et prend autant qu'il veut, Peu, beaucoup, trop, sans même une faim véritable, Du pain qui n'est pas cher et qu'on gaspille un peu ; Retrouver en toi-même à mesure qu'il l'use, Tant qu'il en a besoin toujours un dernier don, Et s'il n'a pas assez encore et s'il t'accuse, Tant qu'il en a besoin lui demander pardon.