Nous nous sommes compris et rejoints dans la certitude même que toute vie en commun ne peut consister qu'à fortifier deux solitudes voisines. Quand deux êtres se renoncent eux-mêmes pour se rencontrer il n'y a plus de sol sous leurs pieds.

Sans cesse j'ai dû refaire l'expérience qu'il n'est guère de chose plus ardue que de s'aimer. Que c'est du travail, travail à la journée, Dieu le sait, il n'y a pas d'autre mot. L'amour est une chose difficile, plus difficile que d'autres parce que l'amour incite à s'abandonner complètement. Mais pourrait-il être beau de se donner non comme un tout, et un tout ordonné, mais à l'aveuglette, morceau par morceau, au petit bonheur ? Pareille façon de se donner presque comme on jette ou comme on déchire peut-elle être un bien ? Peut-elle être bonheur, joie, progrès ? Non ! Avant d'offrir des fleurs à quelqu'un tu les disposes en bouquet n'est-ce pas ?

Les jeunes gens ne mesurent pas le manque d'estime mutuelle que suppose ce don désordonné et ils commettent la plus grande faute qui puisse entache les rapports humains : ils cèdent à l'impatience et s'acculent à une décision qu'ils croient définitive en cherchant une fois pour toutes à fixer leur rapport. Mais même ce qui est mort ne se laisse pas fixer définitivement.

Vivre c'est justement se transformer ; les relations humaines sont de toutes choses la plus changeante, et les amants sont justement des êtres de qui les relations ne connaissent pas deux instants identiques, des êtres entre lesquels rien ne se produit jamais d'habituel, de déjà vu, uniquement du nouveau, de l'inattendu, de l'inouï.

Des êtres jeunes ne doivent pas oublier, s'ils s'aiment, qu'ils sont des débutants, des amateurs, des apprentis en amour ; ils doivent apprendre l'amour et il y faut comme pour toute étude: calme, patience, concentration.