« Tu penses que j’ai peur de l’abandon ?
- Tu as peur que les choses t'échappent. Que les situations soient trop fortes. Que les sentiments soient trop grands pour toi. Si l'on veut être certain de tout, alors il faut se contenter d'histoires courtes. Des liaisons balisées, reconnaissables, avec un commencement, un milieu, une fin, un chemin marqué par des étapes bien claires : le premier sourire échangé, le premier fou rire, la première nuit, la première dispute, la première réconciliation, le premier ennui, le premier malentendu, les premières vacances ratées, la première séparation, la deuxième, la troisième, puis la vraie. Après, on recommence. Pareil, mais avec un autre. On appelle ça une vie d'aventures, c'est plutôt une vie sans aventures, une vie en séries.
- Tu sais, ce n'est pas raisonnable d'aimer toujours, d'aimer longtemps, c'est de la folie pure. La raison, c'est d'aimer juste le temps où c'est agréable. Voilà, le rationalisme amoureux : aimons-nous le temps que nos illusions tiennent, et, dès qu'elles tombent quittons-nous. Sitôt que nous sommes en face de quelqu'un de réel, non plus quelqu'un de rêvé, séparons-nous.
- Non, non, je ne veux pas de ça moi !
- Mais c’est contre nature d'aimer toujours. D’aimer longtemps. Tu ne penses pas ?
- Non, je ne pense pas…Pour que ça dure, il faut accepter l'incertitude, avancer dans des eaux dangereuses, là où l'on ne progresse que si l'on a confiance, se reposer en flottant sur des vagues contradictoires, parfois le doute, parfois la fatigue, parfois la sérénité, mais en gardant le cap, toujours.
- Mais, quand on se décourage, alors ?
- Alors je la regarde et je pense : est-ce que, malgré mes doutes, mes soupçons, mes inquiétudes, ma lassitude, j'ai envie de la perdre ? Et la réponse me vient. Toujours la même. Et le courage qui va avec. C'est irrationnel d'aimer, c'est une fantaisie qui n'appartient pas à notre époque, ça ne se justifie pas, ce n'est pas pratique, c'est à soi-même sa seule justification. L’amour est un idéal, et cet idéal nous guide et nous éclaire.
- J'ai du mal à avoir confiance en tout ça… En moi, en lui, en nous.
- « Avoir » confiance. On n’« a » jamais confiance. La confiance ne se possède pas. Elle se donne. On fait confiance.
- Justement, c’est compliqué de donner sa confiance !
- Parce que tu te poses en spectatrice, en juge. Tu attends quelque chose de l'amour.
- Oui.
- Or c'est lui qui attend quelque chose de toi. Tu souhaites que l'amour te prouve qu'il existe. Fausse route. C'est à toi de prouver qu'il existe.
- Comment ?
- Faire confiance. »