Loué sois-tu pour notre soeur la mort - celui qui écrit cette phrase, celui qui a en lui le coeur de la prononcer, celui-là est désormais au plus loin de lui-même et au plus proche de tout. Plus rien ne le sépare de son amour puisque son amour est partout, même dans celle qui vient le briser. Loué sois-tu pour notre soeur la mort - celui qui murmure cette phrase est venu à bout du long travail de vivre, de cette séparation partout mise entre la vie et notre vie. Trois épaisseur de verre se tiennent entre la lumière et nous, trois épaisseur de temps : du côté du passé, l'ombre des parents, portée loin en avant sur nos jours. Du côté du présent, l'ombre de nos actes et cette image de nous qu'ils sécrètent, fossile, incassable. François d'Assise a épuisé ces deux ombres, traversé ces deux vitres avec assez d'élan pour ne pas s'y blesser. Reste l'ultime épreuve, l'ultime opacité, du côté du proche avenir - la peur de mourir devant quoi même les saints peuvent se cabrer, cheval refusant l'obstacle au tout dernier instant.
Loué sois-tu pour notre soeur la mort - en lançant son amour loin devant lui vers l'ombre qui vient le prendre, François d'Assise lève le dernier obstacle - comme un lutteur défait son adversaire en le prenant par les épaules pour lui donner une accolade.
Loué sois-tu pour notre soeur la mort - voilà, c'est dit, c'est fait : il n'y a plus rien entre la vie et sa vie, il n'y a plus rien entre lui et lui, il n'y a plus ni passé ni présent ni avenir, plus rien que Dieu Très-Bas soudain Très-Haut, soudain partout répandu comme de l'eau.
Le reste.
Vaut-il la peine d'écrire le reste qui prend apparemment fin le samedi 3 octobre 1226.
Il ferme lentement les yeux comme sous le charme d'une pensée profonde, si profonde qu'il en retient son souffle.
Un enfant. Un enfant qui interrompt ses jeux sans raison visible et reste là, soudainement pâle, immobile, muet - ne sachant plus que sourire.