Violence… (Habaquq 1,2-3 ; 2,2-4)
Combien de temps, Seigneur, vais-je crier au secours, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu secoures ? Pourquoi me fais-tu voir l’injustice et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. » […]
Et le Seigneur me répondit et dit : « Mets la vision par écrit clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle vise la fin et ne décevra pas. Si elle semble hésiter, attends-la : elle viendra certainement, elle ne tardera pas. Voici un insolent, son âme n’est pas droite en lui ; mais un juste vivra par sa loyauté.
Le texte ici proposé aligne deux tranchettes d’un discours prophétique très articulé. Manifestement, ce qui intéresse ceux qui ont manié les ciseaux, c’est la toute fin de l’extrait qui semble être en lien avec le passage évangélique du jour. Mais ils ne pouvaient quand même pas se contenter d’un demi-verset ! Ç’aurait été un peu maigre…
Selon l’opinion courante des spécialistes, le prophète Habaquq vit à la fin du 7e siècle. Il est témoin de la violence effrénée d’un grand empire, celui des Babyloniens, une violence dont son peuple est ou risque d’être victime. Ce à quoi il assiste le révolte profondément. Voilà pourquoi il appelle Dieu au secours : c’est la violence qui lui arrache ses cris. Et il poursuit : « Aussi la loi est engourdie, le droit ne s’exprime plus jamais ; quand le méchant circonvient le juste, le droit qui s’exprime est perverti » (v. 5 – dépassé, le Testament de la première alliance ?). Il faudrait lire l’ensemble du chapitre 1 : le prophète horrifié y décrit la violence des Babyloniens – un peuple impitoyable et impétueux – à qui il donne parfois la parole. Cet empire dicte sa loi, se joue des rois, envoie des hordes de cavaliers prendre des villes, faire des prisonniers, s’approprier des maisons. « Sa force, voilà son dieu ! », s’exclame le prophète (v. 11 – on croirait qu’Habaquq commente l’actualité). Mais le Seigneur ne semble rien voir et, de façon incompréhensible, il garde le silence même « quand un méchant engloutit un plus juste que lui » (v. 13). Et le prophète de comparer les ennemis à des pêcheurs armés d’hameçons, de filets et de chaluts, qui capturent des humains comme des poissons et, en exultant, « assassinent des nations sans pitié » (v. 17 – Qui ?).
Face à ce spectacle atroce qui ne semble pas toucher le Seigneur, le prophète reste à son poste de garde et attend une réponse qui ne vient pas. Pourtant, il n’a pas hésité à reprocher à Dieu son silence et s’attend donc à une réprimande de sa part… (2,1). C’est alors que la réponse arrive (2e partie du texte ci-dessus). Elle est assez étonnante. Dans un premier temps, Dieu invite Habaquq à écrire ce qu’il voit, à témoigner ainsi de ces événements pour ceux qui viendront. Car ce qui se produit sous ses yeux est destiné à se répéter jusqu’à la fin, le temps fixé du jugement. Chaque génération pourra y reconnaître la violence qu’elle observe dans sa propre actualité, elle pourra partager la révolte du prophète mais aussi ses questions concernant l’absence de réaction de Dieu. La nôtre y compris.
Plus loin (v. 5-8), Dieu explicite aussi à l’adresse du prophète la ruine qui attend immanquablement les violents, la fin qui ne saurait tarder, comme il le dit au v. 3…
Assurément, comme le vin est traître, l’homme fort est arrogant, sans repos ;
il ouvre large sa gorge comme les enfers, il est comme la mort, jamais rassasié ;
il s’annexe toutes les nations, il regroupe en lui tous les peuples.
Tous ceux-ci ne feront-ils pas de lui un objet de satire et de pamphlet, de quolibets ?
Ils diront : malheur ! celui qui entasse ce qui n’est pas à lui – jusqu’à quand ? –
et augmente ainsi le poids de ses dettes !
Ne se dresseront-ils pas soudain, tes créanciers,
Ne s’éveilleront-ils pas, ceux qui te feront trembler ? Par eux, tu seras mis au pillage !
Puisque tu as pillé de nombreuses nations, tout le reste des peuples te pillera,
à cause du sang des humains et de la violence faite à la terre, à la ville et à tous ses habitants.
Ainsi, même si l’anéantissement des violents se fait attendre, il ne manquera pas d’advenir – cela aussi, l’histoire l’enseigne. Mais que faire, entre-temps ? C’est au v. 4 que se lit la réponse : « Voici un insolent, son âme n’est pas droite en lui ; mais un juste vivra par sa loyauté ». D’une part, il s’agit d’éviter l’insolence qui consiste à incriminer l’attitude de Dieu : ce serait le signe d’un esprit tordu, susceptible de verser à son tour dans la violence, ne serait-ce que par impatience. D’autre part, il s’agit de développer une attitude qui permet de se dresser face à la violence plutôt que de la nourrir. Le terme hébreu utilisé ici (’èmounah) évoque la fermeté, la constance et, en ce sens, la fiabilité par rapport à autrui et la loyauté envers Dieu, la fidélité. Une telle disposition intérieure et les comportements qui la traduisent dans le concret ne réduisent en rien la violence. S’ils ne sont donc pas une solution au problème, ils n'en constituent pas moins une manière de rester humain malgré tout, une façon de contenir la violence, au moins celle sur laquelle un individu ou une communauté peut avoir prise.