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Répertoire
André Wénin
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5ème Dimanche de Pâques

«Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour
la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres.»
(Psaume 145,8-9)

La lecture des Actes des Apôtres prévue pour ce dimanche relate des étapes d’un voyage missionnaire de Paul en Asie mineure où, avec Barnabé, il organise les jeunes communautés chrétiennes et encourage les fidèles. Je ne vois pas grand-chose à dire de ce passage assez anecdotique, dont voici le texte (Actes 14,21b-27).

Paul et Barnabé, retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ; ils affermissaient le cou-rage des disciples ; ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs communautés et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui. Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie. Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé, ils descendirent au port d’Attalia et embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie. Une fois arrivés, ayant réuni la communauté, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi.


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Nouveauté (Révélation 21,1-5a)

Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. ».

Un ciel nouveau et une terre nouvelle ! Selon le livre de la Révélation (ou Apocalypse) une nouvelle création est à l’horizon de l’histoire. Elle a été inaugurée par la résurrection de Jésus, et même si les malheurs des temps donnent à penser le contraire, elle est en train de faire inexorablement son œuvre de vie. C’est ainsi que l’auteur du livre encourage les disciples de Jésus à tenir bon dans les épreuves qu’ils traversent.

L’extrait retenu évoque donc la fin du processus initié par la résurrection. Une façon de saisir son l'importance de ce texte est de le lire en lien avec ce que la Genèse dit de la première création. Au chapitre 1 de la Genèse, le monde réel est présenté comme le résultat d’une victoire de Dieu sur le chaos initial. Pour créer le ciel, les mers et la terre, il a dompté les abysses chaotiques par la seule force de sa parole pour instaurer l’équilibre sur lequel repose le monde. Mais cet équilibre reste instable, comme le montre le récit du déluge (Genèse 6-8). De même pour la lumière que Dieu a imposée dans les ténèbres originaires, dont la nuit continue d’être le domaine. Mais ici aussi, le déséquilibre guette, comme en témoignent les ténèbres qui envahissent l’Égypte quand Pharaon s’obstine à refuser la liberté que Dieu revendique pour les fils d’Israël (Exode 10,20-23) ou quand elles couvrent la terre au moment de la mort de Jésus.

La première création est un monde où les puissances du chaos restent présentes et potentiellement actives. Soumises par Dieu au moyen de sa parole, elles sont susceptibles de se déchaîner. Il suffit pour cela que les humains leur donnent quartier libre par des comportements à l’opposé de la voie que le créateur leur trace par sa parole de bénédiction et le don de la nourriture (Genèse 1,28-30). Dès qu’ils génèrent de la violence, ils perturbent l’ordre de la création visant à garantir la vie, ils plongent le monde dans les ténèbres. C’est ce qu’expérimentent les disciples du Christ pour qui le livre de la Révélation est écrit. Mais son auteur le répète : en Jésus, l’être humain fait le choix de l’amour qui combat la haine et tout ce qui sème le chaos. Voilà ce qui rend possible cette nouvelle création où la mer a dis-paru et où la lumière du Christ brille sans cesse (cf. 21,23-35). Voilà pourquoi la mort est bannie de ce monde, de même que la souffrance et les pleurs qu’elle entraîne.

En Genèse 2, l’histoire commence dans un jardin où les humains vivent en harmonie avec Dieu. Mais ils font le choix de la convoitise, de la mainmise, du refus des justes limites. Se détournant de la parole divine qui tient la mort à distance, ils quittent le jardin, et la violence fait son œuvre en Caïn. Pour tenter d’échapper à la solitude résultant du meurtre du frère, Caïn crée une ville. Mais lieu de vivre-ensemble, la ville est aussi un lieu où la violence peut se déchaîner. Ainsi, Babel est la ville où la singularité de chacun est niée et où les anonymes deviennent des esclaves qui font des briques pour construire une ville et une tour à la gloire d’un tyran. Les villes de Ninive et Babylone s’illustrent dans la Bible comme génératrices d’une violence qui détruit les peuples…

À la fin du livre de la Révélation, la nouvelle création ne consiste pas à réintégrer le jardin perdu. Elle prend la forme d’une ville qui, cette fois, symbolise l’humanité unie et riche de ses différences, enfin alliée à Dieu comme le suggère l’image de l’épouse parée pour son mari. Ainsi, l’histoire humaine avec ses erreurs, sa violence et ses atrocités, mais aussi avec son désir d’un vivre ensemble pacifique (contradiction figurée par l’image de la ville) est assumée tout entière. Mais elle est transformée par la victoire de l’amour sur la haine, et par le triomphe de la vie sur la mort que la résurrection de Jésus représente. Elle devient ainsi le lieu où Dieu peut réaliser le rêve qui était le sien dans l’Éden : demeurer avec les humains et, enfin, devenir leur Dieu.


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Un commandement nouveau (Jean 13,31-35)

(Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples,) quand Judas fut sorti (du cénacle), Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’humain est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.

Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. [Vous me chercherez et, comme j’ai dit aux Judéens : “Là où je vais, vous ne pouvez pas venir”, je le dis maintenant à vous aussi.] Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

(Dans le texte ci-dessus, j’ai mis entre parenthèses les ajouts présents dans le texte liturgique, et entre crochets, ce que le censeur a estimé inutile de faire entendre.)

En donnant le feu vert à Judas (« Ce que tu as à faire, fais-le vite », Jean 13,27), Jésus accepte la Passion qu’il va vivre. Le traître à peine sorti, il fait une déclaration que le contexte rend paradoxale sur la gloire du « Fils de l’humain » – ce véritable humain à l’image du Créateur, maître des forces de violence et de mort. Cette gloire sera révélée dans sa passion et sa mort. En allant jusqu’au bout du don de soi pour casser le cercle infernal du mal, Jésus va révéler quel humain est vraiment à l’image de Dieu : c’est celui qui combat le mal par l’amour (« il les aima jusqu’au bout »). Telle est sa gloire, ce qui fait qu’il a du poids, qu’il est capable de changer le cours de l’histoire. Tel est aussi le critère sur lequel les humains seront jugés par ce « Fils de l’humain », quand Dieu l’instaurera comme juge de l’humanité (voir Daniel 7).

Un être humain comme Jésus rend gloire à Dieu, dans la mesure où son comportement est conforme à Dieu et révèle Dieu par le fait-même. Aussi, ce dernier lui rendra gloire « bientôt» : il le relèvera d’entre les morts, il prendra parti pour ce juste injustement condamné, il approuvera son choix. Sur cet arrière-plan, on comprend mieux le commandement de l’amour mutuel que Jésus donne ensuite à ses disciples. Seul un amour à l’image de celui de Jésus peut être signe du disciple authentique. C’est celui ou celle qui, comme Jésus, se fait serviteur de tous en leur « lavant les pieds » ; celui ou celle qui agit avec amour même envers ceux qui, comme Simon Pierre, refusent la logique de Jésus (« Toi, Seigneur, me laver les pieds ? Non, jamais ! ») ; celui ou celle qui partage son pain même avec le traître, comme Jésus avec Judas. Cet amour à partager n’a donc rien à voir avec l’affection que l’on peut éprouver envers une autre personne. C’est une manière de vivre comme Jésus, dans le service et le pardon, une façon de penser et d’agir en vue du bien de toutes et de tous.

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Crédit photo : AdobeStock