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Répertoire
André Wénin
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Saints Pierre et Paul

« Goûtez et voyez : le Seigneur est bon !
Heureux qui trouve en lui son refuge ! »

(Psaume 33,9)

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Crédit photo : Lawrence Lew op

Libération miracle (Actes 12,1-11)

À cette époque, le roi Hérode Agrippa se saisit de certains membres de l’Église pour les mettre à mal. Il supprima Jacques, frère de Jean, en le faisant décapiter. Voyant que cette mesure plaisait aux Juifs, il décida aussi d’arrêter Pierre. C’était les jours des Pains sans levain. Il le fit appréhender, emprisonner, et placer sous la garde de quatre escouades de quatre soldats ; il voulait le faire comparaître devant le peuple après la Pâque. Tandis que Pierre était ainsi détenu dans la prison, l’Église priait Dieu pour lui avec insistance. Hérode allait le faire comparaître. Or, Pierre dormait, cette nuit-là, entre deux soldats ; il était attaché avec deux chaînes et des gardes étaient en faction devant la porte de la prison. Et voici que survint l’ange du Seigneur, et une lumière brilla dans la cellule. Il réveilla Pierre en le frappant au côté et dit : « Lève-toi vite ». Les chaînes lui tombèrent des mains. Alors l’ange lui dit : « Mets ta ceinture et chausse tes sandales ». Ce que fit Pierre. L’ange ajouta : « Enveloppe-toi de ton manteau et suis-moi ». Pierre sortit derrière lui, mais il ne savait pas que tout ce qui arrivait grâce à l’ange était bien réel ; il pensait avoir une vision. Passant devant un premier poste de garde, puis devant un second, ils arrivèrent au portail de fer donnant sur la ville. Celui-ci s’ouvrit tout seul devant eux. Une fois dehors, ils s’engagèrent dans une rue, et aussitôt l’ange le quitta. Alors, se reprenant, Pierre dit : « Vraiment, je me rends compte maintenant que le Seigneur a envoyé son ange, et qu’il m’a arraché aux mains d’Hérode et à tout ce qu’attendait le peuple juif. »

Hérode Agrippa, souverain en Palestine à la solde de l’occupant romain, cherche à se faire bien voir d’une population qui n’est pas portée à le soutenir. Pour ce faire, il réprime un groupuscule qui remet en cause le judaïsme majoritaire de l’époque : il s’en prend d’abord à Jacques, le responsable de la communauté de Jérusalem, et le fait décapiter. Probablement espère-t-il pouvoir faire de même avec l’autre leader du mouvement, Pierre. Car après l’avoir arrêté, il le met au frais sous bonne garde, attendant la fin des fêtes pascales pour organiser ensuite un procès sans doute spectaculaire, susceptible de plaire à la foule. Mais à la veille de l’ouverture du procès, Dieu répond à la prière instante de la communauté et délivre Pierre. Le récit s’attarde à évoquer les précautions dont est entourée la surveillance du prévenu pour mettre en évidence l’enchaînement miraculeux qui conduit le prisonnier dans la rue, jusqu’à ce que l’ange le laisse seul. Il précise que même Pierre n’y croyait pas, comme pour souligner le côté extraordinaire des événements. On croit rêver en effet : des chaînes qui tombent d’elles-mêmes, des soldats endormis ou tétanisés, un portail de fer qui s’ouvre tout seul…

Tous ces détails manifestent combien le pouvoir divin est à même de neutraliser les puissances de mort qui cherchent à faire taire ses témoins. Au jeu du plus fort, le tyran ne l’emporte pas, comme ce fut le cas lorsque Dieu neutralisa la puissance du pharaon pour assurer la libération des fils d’Israël (Exode 7–14). Plusieurs éléments du texte des Actes font allusion en effet au récit de l’exode : l’important déploiement de soldats, la libération durant la nuit, l’intervention de l’ange de Dieu, mettre ceinture et sandales, sortir dans un espace ouvert tandis que des obstacles infranchissables s’ouvrent devant ceux que Dieu libère, et que l’oppresseur est ridiculisé. De même, la passivité de Pierre rappelle celle des Hébreux dans l’épisode du passage de la mer (Ex 14).

La suite du récit n’a pas été retenue pour la liturgie. Il est cependant intéressant de la lire rapidement, car elle complète la référence aux passages de l’Exode par une autre association. La scène est d’ailleurs assez amusante, voire comique par moment.

S’étant repéré, Pierre se rendit à la maison de Marie, mère de Jean surnommé Marc, où nombre de personnes étaient réunies et priaient. Quand il eut frappé à la porte du porche, une servante, du nom de Rose (Rhodè), s’approcha pour écouter. Ayant reconnu la voix de Pierre, dans sa joie, au lieu d’ouvrir, elle courut annoncer que Pierre était là, devant le porche. Ils lui dirent : « Tu es folle ». Mais elle soutenait qu’il en était bien ainsi. Ils dirent alors : « C’est son ange ». Cependant Pierre continuait à frapper. Ayant ouvert, ils furent stupéfaits de le voir. De la main, il leur fit signe de se taire, leur raconta comment le Seigneur l’avait conduit hors de la prison, et dit : « Annoncez-le à Jacques et aux frères ». Une fois sorti, il s’en alla dans un autre lieu. Quand il fit jour, l’agitation ne fut pas petite parmi les soldats ; qu’était donc devenu Pierre ? Hérode le fit rechercher, mais ne le trouva pas. Alors, Ayant fait juger les gardes, il ordonna de les exécuter. Puis il descendit de la Judée à Césarée pour y séjourner.

Cette scène contient de nombreuses allusions au récit de la résurrection de Jésus en Luc 24. Comme ce fut le cas pour le maître, reconnaître celui que Dieu a délivré ne va pas de soi. Bien qu’elle ait reconnu la voix de Pierre, la femme – appelée par son nom – ne lui ouvre pas mais va plutôt annoncer la nouvelle aux gens rassemblés. Ceux-ci ne croient pas ce qu’elle leur dit et la traitent de folle, puis se donnent une explication facile (c’est un ange). Lorsqu’ils voient Pierre en personne, ils sont stupéfaits. En Luc 24, les premières à apprendre la résurrection de Jésus (v. 5-8) sont aussi des femmes et leurs noms sont mentionnés (v. 10). Lorsqu’elles portent la nouvelle aux disciples (v. 9), ils ne les croient pas et pensent qu’elles délirent (v. 11). Quand Jésus paraît devant eux, ils sont étonnés et croient voir un fantôme (v. 36-41, cf. l’ange de Pierre). Enfin, l’affaire des gardes fait penser, mais en plus tragique, à ce que Matthieu raconte des gardes du tombeau de Jésus (Matthieu 28,11-15). Pris en défaut, ceux-ci qui ont laissé filer Pierre sont exécutés comme le prévoyait la loi romaine. Mais le tyran lui-même ne tardera pas à mourir lamentablement au moment même où ses sujets l’acclament comme un dieu (Actes 12,20-23). Signe de la victoire de Dieu sur le mal.

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Les procès de Saint Paul - crédit photo : Lawrence Lew op

Paul l’athlète (2e lettre à Timothée 4,6-8.17-18)

Bien-aimé, je suis déjà versé en libation, le moment de mon départ est venu. J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice que le Seigneur, le juste juge, me remettra en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa manifestation glorieuse. […]

[La première fois que j’ai présenté ma défense], tous m’ont abandonné. Le Seigneur, lui, m’a assisté. Il m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à toute œuvre mauvaise. Il me sauvera et me sauvera dans son Royaume céleste. À lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Il est assez piquant de constater que notre censeur a retenu, pour évoquer l’apôtre Paul dont c’est la fête, un passage d’une lettre qui n’est pas de Paul, bien que la tradition la lui ait attribuée. C’est donc un de ses disciples qui imagine ce que son maître a pu écrire de lui-même par manière de testament. Il recourt à des images. D’abord « être versé en libation », ce qui est différent d’« être offert en sacrifice » (comme le veut la traduction liturgique) : répandre une libation, c’est offrir un liquide en le versant par terre (donc en y renonçant) en hommage à une divinité. C’est l’image d’une vie entièrement donnée à Dieu. Après le culte, le sport inspire d’autres métaphores : un lutteur satisfait du combat achevé, un coureur passant la ligne d’arrivée, un athlète recevant la médaille d’or (sous forme de couronne de lauriers). Le prix ici, c’est le fait d’être reconnu juste par Dieu, qui approuve ainsi la manière dont la personne a vécu son existence. Et l’arbitre qui remettra la médaille n’est autre que Jésus lui-même, lors de sa manifestation définitive.

La seconde partie de l’extrait fait allusion au procès de Paul dont parlent les Actes des apôtres (ch. 24–26). Lorsqu’il a présenté sa défense lors d’une première audience, l’apôtre s’est senti abandonné de tous, à l’image de Jésus qui, au contraire, s’est tenu à ses côtés. C’est cela qui lui a donné la force, au cœur même de son procès, de témoigner de l’évangile jusque dans la capitale de l’empire Romain, donnant ainsi une extension universelle à son annonce. Le Paul imaginé par le disciple écrivain achève sa lettre en redisant sa confiance sans faille au dieu qui délivre de tout mal. Pour cela, il recourt à une dernière image, biblique, celle-là : « J’ai été arraché à la gueule du lion ». Il cite le passage d’un psaume auquel les évangiles recourent très souvent dans les récits de la Passion de Jésus, mais c’est pour affirmer sa foi en un dieu vainqueur du mal et de la mort (Ps 22,22).

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Crédit photo : Lawrence Lew op

« Tu es Pierre » (Matthieu 16,13-19)

Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’humain ? » Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »

La question que Jésus pose à ses disciples ne semble pas concerner son identité : elle porte plutôt sur le « Fils de l’humain ». Cette figure vient probablement du livre de Daniel. L’auteur désigne ainsi l’être humain par excellence, celui qui se réalise pleinement à l’image de Dieu, selon ce qui est ébauché dans le récit de la création au début de la Genèse (1,26-28). Au chapitre 7 du livre de Daniel, ce personnage est associé à la victoire sur la violence qui écrase les humains et sur la domination de l’homme par l’homme, puis il est installé par Dieu comme souverain : il reçoit la royauté dans le cadre d’un tribunal, de sorte qu’il fait figure de juge. En tant que tel, sa tâche est d’imposer le pouvoir du bien là où le mal règne en maître.

Qui est-il donc pour les disciples, ce « Fils de l’humain » ? Jean-Baptiste ? Il a prêché dans le désert en invitant les gens à la conversion pour échapper à un jugement imminent qui sera implacable (Matthieu 3,7-12) : même s’il a annoncé la venue d’un autre, ne pourrait-ce être lui qui accomplira le jugement annoncé ? Sera-ce au contraire Élie ? Lui aussi est associé au jugement : il a condamné et exécuté des idolâtres ainsi que les rois qui entraînaient Israël vers les dieux de Canaan ; il l’a fait de façon violente, sans concession ni hésitation (voir 1 Rois 17 à 2 Rois 1). Reviendra-t-il faire à nouveau le ménage ? Ce sera peut-être encore Jérémie. Comme d’autres prophètes, il a annoncé le jugement de Dieu sur le peuple infidèle et sur les nations qui l’auront opprimé. Mais à l’opposé d’Élie, Jérémie a été persécuté, il a souffert à cause d’une parole qui s’imposait à lui. Il l’évoque clairement dans un passage où il rappelle l’expérience qui a fait de lui ce qu’il est (Jérémie 20,7-9) :

Seigneur, tu m’as eu, et je me suis laissé avoir ; tu m’as saisi, et tu as été plus fort. À longueur de journée je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi. Chaque fois que j’ai à dire la Parole, je dois crier, je dois proclamer : « Violence et dévastation ! » À longueur de journée, la Parole du Seigneur attire sur moi l’insulte et la moquerie. Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. » Mais elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir.

Si Jérémie a annoncé le jugement, c’était pour susciter la conversion, même s’il a échoué lamentablement. Serait-ce lui, le « Fils de l’humain » venant pour un jugement plein de miséricorde ?

Les trois figures évoquées par les disciples sont représentatives des craintes et des espoirs des gens vis-à-vis du jugement divin : sera-t-il violent et expéditif ? sera-t-il miséricordieux ? son issue dépendra-t-elle de la conversion de chacun ?

Cela dit, en répondant, les disciples n’ont pas parlé de Jésus. Ils n’ont donc pas reconnu en lui le « Fils de l’humain », celui qui vient pour juger… D’où la nouvelle question : « Et moi, alors, qui suis-je pour vous ? » La réponse de Pierre manifeste qu’à ses yeux, Jésus n’est pas d’abord lié au jugement. Christ ou Messie, fils du Dieu vivant (la seconde appellation précise le sens de la première), il est essentiellement celui qui vient pour libérer de toutes les oppressions et de tous les esclavages –extérieurs et intérieurs – de sorte que le rêve de vie et de paix de Dieu puisse se réaliser.

Quand il reprend la parole, le Jésus de Matthieu a l’air surpris d’une réponse qu’il n’attendait pas. Pensait-il qu’il serait assimilé au « Fils de l’humain », au juge de l’humanité ? Toujours est-il qu’il déclare Simon heureux, car sa réponse ne peut venir que de Dieu, de Celui dont la voix a proclamé, lors du baptême dans le Jourdain : « Celui-ci est mon fils bien-aimé ». C’est sur cette révélation de Dieu et sur la reconnaissance de Jésus comme Christ qu’est fondée la communauté appelée à vivre en lui et à être libre du mal et de la mort. C’est ce que symbolise la Pierre de fondation de l’ekklèsia la communauté des croyants appelés à être les témoins de la manifestation de Dieu dans la mort et la résurrection de Jésus.

La déclaration de Jésus s’achève par une phrase à laquelle on se réfère couramment en parlant du « pouvoir des clés » qui serait remis à Pierre et donc à ses successeurs (Jésus pensait évidemment aux pontifes romains). Mais s’agit-il vraiment d’un « pouvoir » ? Rien dans le texte évangélique ne confirme cette interprétation. Ne s’agirait-il pas plutôt d’une responsabilité : celle de prononcer une parole qui lie les croyants au Christ et tout à la fois délie, c’est-à-dire libère celui à qui elle est adressée et qui la reçoit (voir É. Cuvillier, «Évangile selon Mathieu », dans C. Focant, D. Marguerat [éds], Le Nouveau Testament commenté, Montrouge – Genève 2012, p. 93).