Dans le langage courant, lorsqu'on dit qu'un homme est infidèle à sa femme cela signifie immanquablement qu'il la trompe avec une autre.

Il me semble que c'est là réduire considérablement le champ de la fidélité. Qu'est-ce que cela veut dire la fidélité pour moi, homme de quarante-cinq ans, marié à la même femme depuis près de vingt ans et n'en ayant jamais "connu" d'autres ?

Dans la fidélité, il y a "foi" et "confiance" : il me semble que, à la base de la fidélité, il y a à la fois cette certitude et cette volonté, ce sentiment, cette promesse qu'on ne se lâchera jamais, qu'on peut compter totalement l'un sur l'autre, qu'on représente pour une femme celui qui ne la laissera jamais seule, et qu'elle est pour vous, celle qui vous délivre à jamais de l'abandon et de la solitude, même s'il est vrai que, d'une certaine façon, on vit seul l'affrontement à soi, aux choses, à la souffrance, à la mort.

C'est dire que la fidélité est liée d'abord, pour moi, à la durée, bien avant une exclusivité affective et sexuelle que, de fait, je pratique et qui m'apparaît liée à notre fidélité mutuelle. [...]

Besoin de sécurité ? Bien sûr, et je ne crache pas là-dessus. A condition de savoir (mais qui de nous n'en a pas fait l'expérience !) que le bonheur ne perdure qu'à travers des expressions différentes. La fidélité est créatrice et inventive ou elle n'est pas. A sa manière, elle est un pari ou un risque. [...]

C'est le regard aimant de l'autre qui est le témoin de la construction et de la permanence de ma personne. Et le garant d'une certaine vérité, d'une certaine lucidité sur moi-même.

Fidélité, cela signifie aussi pour moi l'amitié indéfectible, la réconciliation systématique et le service mutuel : matériel, affectif, sexuel, spirituel, etc. Et c'est là, le plus souvent, que je mesure mes défaillances et que je me fais l'effet d'un exploiteur, d'un profiteur qui reçoit plus qu'il ne donne.

On peut tromper sa femme en se lavant les mains des soucis quotidiens de la maison, en lui collant sur le dos la charge des enfants, en lui refusant au nom de nobles obligations professionnelles ou militantes en la privant du pain quotidien de l'amour qui est l'échange à coeur ouvert, sous prétexte qu'on se comprend à demi-mot, ce qui dispense de parler... Bref, on risque toujours de "divorcer" sans bruit de l'autre, même si l'on demeure sous le même toit et qu'on dort dans le même lit.

Et l'exclusivité sexuelle ? Je n'ai pas d'autre expérience que celle-là, et on ne parle sérieusement que de ce qu'on vit ! Sur quoi est-elle fondée en définitive ? Sur le bonheur qu'on y trouve sûrement. Sur la certitude qu'on ferait gravement souffrir celle qu'on aime si on y renonçait. Et qu'on y souffrirait soi-même. Sur une certaine conception de la sexualité aussi : je n'arrive pas vraiment à imaginer un exercice de la sexualité qui soit un pur jeu de plaisir, qui n'engage pas le coeur, qui ne mette pas en jeu la relation. Mais je crois que l'amour est lié à la possession. A la joie, à la sécurité de posséder, mais aussi à celle d'être possédé. Il me semble aussi que l'amour ne va pas sans préférence, c'est-à-dire finalement sans renoncement.

Aimer, c'est préférer et c'est aimer être préféré.