Trop se connaître tue l'amour, me disent certains, le mystère lui est indispensable comme le soleil au blé. Mais le mystère n'a nul besoin d'être cultivé, l'entretenir, c'est reconnaître sa fragilité. Il faut l'attaquer, s'efforcer de le dissoudre. Plus nous irons loin dans le monde de la connaissance, plus nous nous apercevrons que le mystère demeure.
Je te regarde dormir et le monde où tu es, le sourire au coin de tes lèvres, le battement imperceptible de tes cils, ton corps nu et abandonné, sont mystères.
Je nage à tes côtés dans l'eau tiède et transparente, j'attends que tu apparaisses dans l'encadrement de la porte sous la glycine. Tu me dis "bonjour" et je sais quels ont été tes rêves, tes premières pensées à la lisière du sommeil et cependant tu es mystère.
Nous parlons : ta voix, ta pensée, les mots dont tu te sers pour l'exprimer me sont les plus familiers du monde. Chacun de nous peut terminer la phrase commencée par l'autre. Et tu es, et nous sommes mystère. Le sourire de la Joconde en contient moins que le plus quelconque de tes gestes.
Il arrive, et ce sont des instants privilégiés qui font croire à la perfection du monde, que toute distance est abolie. Je me suis surprise, alors, à souhaiter mourir afin que cette perfection demeure à tout jamais. Mais il semble que l'on ne se suicide que face à l'échec et que le bonheur nous porte à vivre. Je ne sais, mais je comprends que d'avoir touché la perfection nous fasse souhaiter ne plus jamais retomber dans le cycle des combats. Nous avons été Dieu, nous ne voulons pas redevenir homme.
L'amour, une source, une raison de source, le monde devient fertile, c'est l'émerveillement, le sentiment du miracle, et, en même temps, du déjà connu, un retour au paradis perdu, la réconciliation du corps et de l'idée, la découverte de notre force et de notre fragilité, l'attachement à la vie et pourtant l'indifférence à la mort, une certitude à jamais révélée et cependant mobile, fluide et qu'il faut reconquérir chaque jour.