Pourquoi « pas de chocolat », alors que je l'aime tellement. Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais moi, lorsqu'on me l'interdit, j'en ai encore plus envie. J'oserais même vous confesser qu'il me manque. C'est ici qu'il faut saisir la chance qui nous est offerte, cette occasion qui nous permet de vivre ce manque. En effet, c'est dans le manque que l'on se rend soudainement compte de l'importance de choses qui nous paraissent anodines, si normales qu'elles en deviennent parfois même banales. De plus, c'est le manque qui va nous faire avancer sur notre propre chemin, dans nos propres déserts... Nos vies sont parsemées de ces déserts aux multiples tentations. Mais oserions-nous reconnaître que nous ne prenons plus assez le temps d'en traverser aujourd'hui. Rendement, efficacité, rapidité, immédiateté sont devenus nos faux-dieux. Ils sont faux car quelque part, ils nous empêchent de rêver, de nous arrêter, de nous épanouir, voire de nous réaliser. Comme si chaque minute valait un monceau de dollards que nous ne pouvions plus nous permettre de gaspiller. Mais au profit de qui, sommes-nous en droit de nous poser ? Si je me laisse happer de la sorte, je passerai tout simplement à côté de l'essentiel, je me promènerai sur la berge de ma vie sans jamais réellement y plonger. Or la vie m'attendra toujours à un tournant, à un de ces virages dont je n'ai pas bien dessiné, maîtrisé les contours. Et là, c'est alors, le choc, la chute, et un atterrissage. Ce drame fera que je ne pourrai plus continuer de courir, de voler après mon propre temps. J'aurai besoin de m'arrêter, de reprendre souffle, de comprendre, de retrouver le sens, peut-être tout simplement de vivre.

On a volé mon temps, chante le poète, et depuis ce jour, je n'arrête pas de courir après pour le retrouver. La partition de ma poésie ne se compose plus que lorsque quelque chose d'exceptionnel, d'extraordinaire se produit. Je me remets à réfléchir quand mort, maladie, souffrance et séparation se conjuguent dans les rimes de mes pensées. L'orchestre s'arrête alors de jouer et je n'entends plus que la plainte douloureuse de mon propre instrument. Il ne joue plus à l'unisson, je suis seul, profondément seul. Les notes sont plus lourdes à faire vibrer puisque les silences sont griffonnés sur la partition de ma symphonie. Je me retrouve avec moi-même, je prends le temps du temps, je redécouvre l'importance des ces petits gestes mécaniques, automatiques. Je vis « un merci » comme un émeraude et « un je t'aime » comme un diamant aux multiples carats de tendresse. Solitude de mon hymne à la Vie, au plus profond de mon propre fond, je m'offre ce temps pour tenter de comprendre le sens de mon humanité, de ma vie, de tous ces pourquoi qui parsèment les chemins de nos inquiétudes et angoisses. Je m'autorise enfin tout simplement à m'abandonner, à me laisser être, à exister dans toute ma vulnérabilité. La véritable rencontre avec moi-même, l'autre et le Tout-Autre va pouvoir se réaliser. C'est fou, mais le « pas de chocolat » c'est un peu tout ça. C'est s'offrir ce luxe qui ne pourra jamais s'évaluer, de rompre le rythme de nos monotonies, de casser l'impression de nos acquis, de retrouver le sens de notre vie, de redécouvrir le plaisir et l'importance d'aimer. Le « pas de chocolat », c'est une multitude de petits déclics que nous nous offrons pendant 40 jours pour reconnaître que le bonheur est ailleurs, qu'il réside au plus profond de notre coeur. Voilà la bonne nouvelle que le Christ se propose de nous donner ce soir (ce matin) : je vous offre le temps de vivre de vos propres déserts, de vivre un chemin d'humanité, de réalisation de vous-même. Celui-ci est tout simple puisqu'aujourd'hui encore le chemin du bonheur se chante : amour d'amitié. Alors, ce soir (matin) osons nous souhaiter : bon carême et « pas trop de chocolat quand même, c'est un luxe qui ne dure hélas que 40 jours ». Amen.