Il est étrange qu’aujourd’hui, dans l’Évangile de Marc, Jésus suspende ces lois des mathématiques, pour ainsi dire. La Parabole dite de « l’obole de la pauvre veuve » défie les règles mathématiques et renverse l’ordre établi. Elle nous pose deux questions fondamentales : Faire un don, est-ce une question de cœur ou bien une question de porte-monnaie ? Puisque Dieu nous a tout donné en Jésus, qu’est-ce que nous pouvons encore donner ?
Les lectures de ce trente-deuxième dimanche du temps ordinaire sont dominées par la figure de la veuve. Les veuves font partie de ceux qu’on appelle en hébreu les « anawim », les pauvres de Yahvé. À l’époque de Jésus, les veuves étaient des membres particulièrement déshérités de la société sur le plan social et économique : elles vivaient dans la précarité, puisqu’elles ne jouissaient plus de la protection d’un époux, chargé d’assurer leur subsistance.
Dans la Bible, si une veuve avait de la chance, elle pouvait trouver refuge auprès de la famille de son défunt mari – peut-être même épouser un parent de son mari si elle était encore jeune. Tel est le cas de la belle histoire du mariage de Ruth, la Moabite, avec Booz, proche parent de Noémi, la belle-mère israélite de Ruth (cf. Ruth 3, 10-4,8). Si le remariage n’était pas possible, une veuve pouvait aussi trouver refuge dans le Temple. C’était le cas de la prophétesse Anne qui prophétisait au sujet de Jésus et avait assisté à sa Présentation dans le Temple de Jérusalem. L’Évangéliste Luc écrit explicitement : « [Anne] était avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, (…) elle ne s’éloignait pas du temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière » (cf. Luc 2, 36-38).
Une veuve qui trouve refuge au Temple, cela nous permet de comprendre la critique de Jésus à l’encontre des Scribes. Jésus les accuse de dévorer « les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières » (Mc 12, 40). Autrement dit, les Scribes qui recherchent des honneurs et qui font de longues prières pour leur propre gloire, oublient malheureusement leur vocation initiale, c’est-à-dire de défendre les pauvres, les orphelins et les veuves. Jésus s’en prend donc au système abusif du Temple, d’autant plus que la loi de Moïse ordonne la protection des veuves et des orphelins (cf. Ex 22, 21).
Après la mise en garde de Jésus non seulement envers les Scribes, mais aussi envers ses auditeurs, l’Évangéliste Marc nous propose le deuxième épisode qui se déroule toujours dans le Temple de Jérusalem. Assis dans le Temple en face de la salle du Trésor, Jésus observe la foule qui y mettait de grosses sommes. Au milieu de cette foule, il remarque une veuve pauvre qui dépose deux petites pièces de monnaie dans le Trésor du Temple. Cette fois-ci, Jésus s’adresse uniquement à ses disciples et il leur dit : « Cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous ont pris sur leur superflu mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait » (Mc 12, 43). Jésus est très clair : ces pièces de monnaie, c’est tout ce qu’elle avait pour vivre.
Chers frères et sœurs ! Sommes-nous comme les riches de l’Évangile qui peuvent donner généreusement, mais toujours de leur « superflu » ? Jésus ne reproche pas aux riches leur richesse, moins encore le fait qu’ils donnent de leur « superflu », simplement il souligne que le don de la veuve est d’un autre ordre, d’une toute autre nature. Alors que les autres mettaient dans la salle du Trésor de leur superflu, de leur abondance, la veuve a pris sur son indigence, elle a fait don même de sa pauvreté. Elle a fait don de tout ce qu’elle avait pour vivre.
Cela nous rappelle, de manière encore plus explicite, la « veuve de Sarepta » dont parle le premier livre des Rois. Cette veuve que le prophète Élie rencontre à la porte de la ville n’a que peu pour vivre. Elle et son fils sont menacés de mourir au milieu de la famine qui sévit dans la région. Pourtant, même s’il ne lui reste qu’« une poignée de farine, et un peu d’huile » (1 Roi 17, 16) ), elle nourrit Élie, après avoir entendu le « n’aie pas peur » du Prophète (1 Roi, 17, 13).
Chers frères et sœurs ! Les deux veuves des lectures d’aujourd’hui ont donné tout ce qu’elles avaient pour vivre, avec un cœur rempli d’abandon et d’ouverture. En effet, les lectures d’aujourd’hui ne portent pas sur la bonne manière de donner. Elles nous montrent plutôt la foi de deux veuves, qui est plus dans l’ordre de l’abandon. Alors que dans le monde du don nous comptons sur nos propres efforts, dans le monde de l’abandon, nous remettons notre vie entière dans la seule main de Dieu (cf Ps 31, 16).
Les deux veuves ont donné tout ce qu’elles avaient pour vivre. Elles se sont données entièrement. Se donner, c’est donner de tout son cœur. Donner de soi-même pour faire vivre l’autre. C’est cela l’Amour, c’est cela la Charité. Si tu donnes avec ton cœur, crois-moi, tu ne perdras rien, mais c’est l’inverse qui se produira : tu gagnes non pas quelque chose, mais tout et tu recevras une promesse de bénédiction : « La jarre de farine ne s’épuisera pas, et le vase d’huile ne se videra pas » (cf. 17, 16).
Jésus attend de toi aujourd’hui que tu donnes non pas de ce que tu as, mais ce que tu es ; ta propre vie. Au moment de la préparation des dons, tu peux offrir ainsi au Seigneur l’offrande de ta vie en la déposant sur l’autel. En faisant ainsi, tu ne mets pas seulement tes pas dans ceux des deux veuves de ce dimanche, mais tu suis plus résolument Jésus qui a donné en offrande sa propre vie pour nous sur la croix.