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Répertoire
Jean-Bertrand Madragule
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Fête de la Croix glorieuse

On raconte qu’un jour des hommes marchaient, courbés sous le poids de leur croix. Leurs pas étaient lents, leurs épaules meurtries, mais ils avançaient, fidèles à la route qu’ils avaient choisie. L’un d’eux, épuisé par cette charge trop lourde, prit sa scie et, d’un geste résolu, en coupa un morceau. Soulagé, il reprit sa marche, le cœur plus léger...

... Après de longs jours, ils parvinrent au bord d’un gouffre immense. De l’autre côté s’étendait le pays de la joie éternelle, baigné de lumière, où Dieu était proche. Mais aucun pont ne reliait les rives. Alors, chacun posa sa croix en travers du vide : elles s’ajustèrent parfaitement, formant un passage sûr.

Celui qui avait raccourci sa croix resta seul, figé au bord du précipice. Sa croix, désormais trop courte, ne pouvait plus combler l’abîme qui s’ouvrait devant lui. Dans le silence, il comprit alors que le fardeau qu’il avait voulu alléger était en réalité la clé qui lui aurait permis d’atteindre la lumière.

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Pont Kizil Hauzen, Azerbadjan - crédit photo : wikimedia commons

Épuisé, le pèlerin de notre légende allégea sa croix trop lourde en en coupant un morceau.

Qui n’a jamais ressenti cet épuisement profond ? Moi, je le connais bien. C’est une expérience universelle, déjà évoquée dans le livre des Nombres (21, 4b-9). Après avoir quitté l’Égypte, le peuple d’Israël, en marche vers la Terre promise, fit lui aussi cette expérience dans le désert du Sinaï : un chemin marqué par la fatigue, la faim, la soif et le découragement. Exténués, les Israélites murmurèrent, exprimant non seulement leur lassitude physique, mais aussi l’usure morale née des conditions extrêmes.

Ils atteignent alors une région infestée de serpents venimeux. Pourquoi Dieu permet-il ce fléau ? L’épuisement, la révolte et le doute se sont installés, au point de se demander si la route choisie est la bonne. Et parfois, un coup supplémentaire semble suffire à nous terrasser définitivement.

Dans cette détresse, Dieu, par l’intermédiaire de Moïse, offre un signe vers lequel le peuple d’Israël doit regarder : un serpent de bronze, fixé au sommet d’un mât. « Quand un homme était mordu par un serpent et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie » (Nb 21, 9). Ce geste détourne le peuple de sa situation désespérée et oriente son regard vers un repère qui redonne sens à la vie et espoir. En levant les yeux vers le serpent de bronze, les Israélites ne meurent plus ; mieux encore, ils retrouvent vie, courage et force pour poursuivre la route.

Dans l’Évangile du jour, Jésus, le Crucifié, se présente comme celui qui accomplit la figure du serpent de bronze : « De même que Moïse éleva le serpent de bronze dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle » (cf. Jn 3, 14-15).

Cela signifie que Dieu ne nous préserve pas toujours des épreuves, mais qu’il nous offre un bien infiniment plus grand que toute souffrance : la vie véritable, une vie qui n’a pas de fin.

Et cette vie éternelle s’ouvre à nous par le passage de la Croix.

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Crédit photo : wikimedia commons

Historiquement, la Belgique est marquée par la tradition chrétienne. Le symbole de la croix y est très présent : on la voit non seulement sur les clochers des églises, à l’intérieur de celles-ci et des chapelles, mais aussi dans nos maisons et nos couvents. Dans certains pays, on peut même voir la croix se dresser au sommet de certaines montagnes et collines. Des saints portent même le nom de la croix, comme saint Jean de la Croix (1542-1591) ou sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein) (1891-1942), d’origine juive. La croix est également considérée et portée autour du cou par beaucoup comme un objet de piété ou un objet décoratif auquel ils associent diverses significations. Il se peut que quelqu’un fasse ici une véritable profession de foi en Jésus-Christ ou que la croix soit simplement considérée comme un objet décoratif, voire comme une amulette censée porter chance.

En ce dimanche, nous célébrons la Croix Glorieuse, fête également connue sous le nom d’« Exaltation de la Sainte Croix ». À l’origine, cette fête commémore la dédicace de la basilique du Saint-Sépulcre, édifiée en 335 par l’empereur Constantin sur le mont Golgotha, à Jérusalem. Cette construction fait suite au pèlerinage de sa mère, sainte Hélène, dans la Ville sainte. Convaincue d’y avoir découvert la croix de Jésus le 14 septembre 320, elle fit remettre la relique à l’évêque de Jérusalem qui la présenta alors au peuple pour qu’il puisse la vénérer.

En cette fête de la Croix glorieuse, nous sommes invités à méditer sur la signification profonde de ce symbole.

Le mot « croix », dans les cultures marquées par le christianisme, évoque souvent une épreuve ou un fardeau à porter. On vient de parler de ce pèlerin qui, lassé, avait raccourci la croix qu’il portait. Dans notre vie quotidienne, chacun porte sa propre croix, sous des formes diverses : solitude, sentiment d’absurdité, maladie longue et éprouvante, discrimination, relations humaines blessées… Autant de souffrances, infligées ou subies sans raison, qui témoignent de la dureté et parfois de la cruauté des hommes.

Les souffrances que nous portons comme notre croix peuvent devenir un pont vers le salut.

Comme il n’existe pas de rose sans épines, un proverbe africain nous rappelle que l’on ne lance des pierres qu’à l’arbre chargé de fruits. Pour nous, chrétiens, la Croix du Christ est précisément cet Arbre de vie. Edith Stein disait : « La Croix est le chemin qui mène de la terre au ciel. » Elle n’est donc pas seulement une épreuve ou un fardeau : elle est aussi un grand mystère, une révélation, l’expression humaine d’une réalité divine.

Par la Croix, nous découvrons jusqu’où l’amour de Dieu s’est donné pour l’humanité : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). En la vénérant, nous proclamons la victoire du Christ sur le mal et sur la mort, car, ressuscité le troisième jour, il nous ouvre les portes de la vie éternelle.

Quand tu traverses un désert de souffrances, de peurs et de doutes, fais halte devant une Croix du Christ. Par elle, Dieu t’adresse un signe et t’invite à Lui faire confiance. Il arrive que le découragement t’envahisse, que tu n’aies plus la force ni même le désir de prier. Dans ces moments-là, contente-toi de t’arrêter devant la Croix et de la contempler en silence, à l’exemple de saint Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars. Peu à peu, tu découvriras qu’elle façonne à nouveau ton cœur et ton esprit, te ramenant au courage du Christ au moment de sa Passion.

La Croix n’est pas un signe de malheur, mais l’expression d’un amour plus fort que la mort.

Marie, la Mère de Jésus, y a cru et en a été le premier témoin : par la Croix, Dieu nous ouvre le chemin de la vie éternelle. C’est pourquoi nous voulons la porter haut, comme un signe d’amour et d’espérance en la Vie éternelle dans le Royaume de Dieu. Amen.

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Croix à Saint-Léonard, Valais - crédit photo : Dominicains de Belgique