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Répertoire
Jean-Bertrand Madragule
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Jeudi Saint

Lors d’un concours radiophonique, cette question a été posée : « Quelle est la plus belle phrase qu’une femme puisse entendre ? » Après diverses propositions, une jeune femme a obtenu le premier prix. « La plus belle phrase qu’une femme puisse entendre, a-t-elle déclaré, c’est quand le bébé se met à pleurer à trois heures du matin et que le mari dit : ‘Reste couchée ! Je vais y aller !’ »

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Crédit photo : Lawrence Lew op

Je pense que les « mères » qui sont ici présentes pourraient confirmer que c’est effectivement la « plus belle phrase qu’une femme puisse entendre ». C’est précisément cela, l’« amour véritable » : il n’attend rien et ne demande rien, et laisse parler le cœur, il montre de l’intérêt pour l’autre. C’est ce qu’on appelle le « don de soi par amour ».

C’est le « don de soi par amour » que nous célébrons ce Jeudi saint.

Aujourd’hui commence le Triduum pascal, au cours duquel nous célébrons la Passion, la Mort et la Résurrection de notre Seigneur Jésus. La vie de Jésus en trois jours. La célébration de ce soir se situe dans le contexte de la dernière Pâque. Pour les Juifs, la Pâque est un «mémorial» (zikkarôn) (Ex 12, 14) qui rappelle et actualise l’« amour de Dieu » qui sauve son peuple. Cette fête, l’une des plus importantes du judaïsme, racontée dans le livre de l’Exode 12, 1-14.21-23, était célébrée « en famille » et rappelait la libération du peuple d’Israël de l’esclavage en Égypte. Les participants partageaient un repas rituel, appelé « Séder », au cours duquel était raconté le récit de la sortie d’Égypte et où l’on bénissait surtout Dieu pour sa « protection ».

C’est précisément ce que Jésus a fait ce soir avec ses disciples dans l’Évangile selon saint Jean (13, 1-15). Par ses paroles et ses gestes, Jésus a donné un sens nouveau à la Pâque juive. Le passage de l’esclavage à la libération du peuple d’Israël symbolise le passage de la Mort à la Résurrection du Christ. Ce que Jésus a fait à la dernière Cène avec ses disciples se résume en trois expressions : Don de soi par amour, service et faire mémoire.

Si l’on compare la lettre de saint Paul aux Corinthiens (1 Co 11, 17-34) et les trois premiers Évangiles de Matthieu (26, 26-30), Marc (14, 18-26) et Luc (22, 14-23), on constate qu’ils racontent les récits de l’institution de l’Eucharistie de manière très similaire. Dans les récits de la Cène, ils mentionnent tous le partage du pain et du vin. Mais pourquoi l’Évangéliste Jean passe-t-il ce récit sous silence ? Le récit de la Cène n’apparaît pas du tout chez lui. Bien sûr, Jean sait aussi qu’un repas a eu lieu au Cénacle, comme il est mentionné au début de l’Évangile de ce soir. Mais pourquoi ne raconte-t-il pas du tout le récit de l’institution de l’Eucharistie ? Ne s’en souvient-il pas ? Et pourtant, il y était présent lui-même. Après le repas, il évoque plutôt le lavement des pieds. Un geste que les autres évangélistes ne décrivent pas.

Au Cénacle, la tradition biblique nous rapporte deux actes de Jésus : l’institution de l’Eucharistie et le lavement des pieds. Il s’agit de deux gestes différents, mais qui expriment la même réalité : le don de soi par amour. Ce soir, nous ne célébrons pas la mort de Jésus, mais son don de lui-même par amour pour nous. L’Évangile selon saint Jean nous raconte comment Jésus se lève de table, enlève son manteau, ramasse son tablier et se met à laver les pieds de ses disciples. C’était un travail que seuls les esclaves ou les serviteurs avaient l’habitude d’accomplir. En effet, les gens portaient des sandales et les rues étaient poussiéreuses.

Connaissant bien ses disciples, Jésus, « le Maître et le Seigneur » (Jn 13, 13), se détache de tout et se met au service de l’humilité afin de construire la fraternité et de bâtir le Royaume de Dieu. Jésus ne lave pas la tête de qui que ce soit, mais bien les pieds de tous ses disciples, y compris celui qui allait le trahir, Judas. Serais-tu capable de faire preuve de cet amour inconditionnel et de ce pardon qui furent nécessaires à Jésus pour laver les pieds de celui qui allait le trahir ?

Au-delà des blessures, des trahisons et des déceptions dans ta vie, ne refuserais-tu pas de laver les pieds de ton « Judas » si l’occasion se présentait ?

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Crédit photo : Lawrence Lew op

Jésus, lui, l’a fait. Avec ce geste d’humilité et de pardon, Jésus te dit : « Tu peux être là, et je t’aime tel que tu es. » Pierre n’a pas compris le geste de Jésus lorsqu’il s’est spontanément défendu en disant : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » (Jn 13, 6). Jésus accepte Pierre tel qu’il est, sans lui faire de reproche. Et Jésus lui dit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras » (Jn 13, 7). Mais Pierre s’obstine : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » (Jn 13, 8). Faisant preuve de patience, Jésus dit à Pierre : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13, 15). Oui, un exemple, mais aussi une volonté de comprendre l’autre dans sa situation actuelle et de dialoguer avec lui.

Chers frères et sœurs, quel vêtement doit-on ôter et quel tablier doit-on revêtir ? Quels sont les obstacles qui t’empêchent de servir les autres avec humilité ? Quelles sont les pieds que tu dois laver ? Chacun de nous est invité à trouver les réponses dans sa vie quotidienne.

Nous sommes tous invités à découvrir les pieds qu’il nous revient de laver et la manière dont nous devons le faire.

L’Évangile du Jeudi saint nous invite à avoir les mêmes sentiments que Jésus et à agir selon l’exemple de son amour et de sa miséricorde. Ainsi, le service d’amour envers nos prochains, en particulier les malades, les exclus, les pauvres et les méprisés, fait de nous des hommes ou des femmes selon le cœur de Dieu (cf. Actes 13, 22). En rendant service à ces personnes délaissées, nous le faisons pour le Christ lui-même, car il dit : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40.45). Seul le service humble de l’humilité et du pardon nous permet d’accueillir le présent et de perpétuer l’œuvre de Jésus pour nous. Cette tâche nous est confiée individuellement, mais aussi en tant que communauté ou famille.

Au Cénacle, Jésus nous a offert le festin de son amour : L’Eucharistie. L’Eucharistie est le mystère de notre foi, par excellence ! C’est le moment de la communion avec le Christ. Rappelez-vous ce que Jésus a dit à Pierre : « Si je ne te lave pas, tu ne seras pas en ‘communion’ avec moi » (cf. Jn 13, 8). Lorsque Jésus parle de la « communion », il ne fait pas référence au fait d’avoir marché avec lui ou d’être allé à l’église le dimanche. Il s’agit de se laisser transformer par le Christ, pour que notre vie soit transformée en Sa Vie.

L’Eucharistie n’est pas un « souvenir du passé », mais elle est une « mémoire » qui se réalise « aujourd’hui » et qui nous invite à accueillir le « demain » de la présence réelle de Jésus parmi nous. « Faites cela en mémoire de moi » (1 Cor 11, 24.25).

Cette invitation s’adresse à chacun de nous : débarrassons-nous de nos manteaux de sécurité, de peur ou de confort, et revêtons les tabliers du service et du don de soi par amour.

Amen.

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Crédit photo : Lawrence Lew op