La personne étant interloquée par mes propos me demande toujours de préciser ma pensée. Ce que je fais : "oui, je vous invite à rendre grâce à Dieu de pouvoir vous encombrer l'esprit d'un tel souci et de se dire qu'il va vous occuper toute la semaine. Si un tel petit détail liturgique vous ennuie tant et que vous n'arrivez pas à le dire aux personnes concernées, rendez grâce à Dieu de ne pas avoir de soucis plus importants à devoir gérer". Et depuis ce jour, je n'ai plus jamais entendu ce genre de plainte.

Des soucis nous en avons toutes et tous. Ce n'est donc pas étonnant que même l'évangile nous en parle lorsque nous pouvons lire : "tenez vous sur vos gardes, de crainte que votre coeur ne s'alourdisse dans la débauche, l'ivrognerie et les soucis de la vie". Ces soucis dont parle l'évangile ne sont pas des petits tracas quotidiens ou encore de faux problèmes pour s'occuper l'esprit, non le terme grec utilisé signifie plutôt le souci qui déchire le coeur, qui divise notre âme, qui fait souffrir notre conscience et notre être tout entier. Il est ce souci qui vous donne mal l'âme et au corps. Une blessure béante qui met tant de temps à pouvoir se cicatriser avec parfois cette impression tenace qui nous fait penser que jamais nous arriverons à dépasser ce qui fait cette lézarde inférieure. Une lézarde, un gouffre qui nous donne un vertige à nous faire perdre la tête. Et voilà qu'aujourd'hui le Christ nous fait découvrir que c'est au coeur même de ces soucis profonds qu'il se révèle, se dévoile à nous comme une lumière ténue au coeur de nos ténèbres. Nous pourrions même aller jusqu'à dire que notre épiphanie, notre manifestation de Dieu se réalise souvent dans le lieu de nos fragilités comme si Dieu se glissait tendrement en nous dans nos failles pour venir nous donner un peu de baume au c½ur et à l'âme. De la sorte le récit apocalyptique de l'évangile s'adoucit et nous fait découvrir ce visage de Dieu tel qu'il nous est révélé dans la première lecture : "le Seigneur-est-notre-Justice". Une justice non pas humaine c'est-à-dire une justice qui juge et condamne. Non plutôt une justice divine c'est-à-dire une justice dont les racines s'enfoncent dans l'amour à notre égard. Un amour qui connaît nos vies. Un amour qui déborde de cette affection dont nous avons toutes et tous tant besoin. En ce temps d'avent, Dieu, notre Dieu, Celui qui se révèle à nous en Jésus Christ nous fait découvrir que sa justice s'inscrit au coeur de nos êtres, dans l'empire personnel de nos vulnérabilités. Et finalement c'est assez normal.

Ne reconnaissons-nous pas les meilleurs temps d'amitié comme étant ceux où les personnes se sont racontées sensibles, se sont fragilisées en toute confiance ? Lorsque la vie nous offre de tels temps de bonheur nous découvrons, redécouvrons que la fragilité fait la beauté de l'être. Elle n'est pas à craindre. Il n'y a pas lieu de l'occulter. Elle devient lieu de résidence, de révélation de Dieu. Si le débauche et l'ivrognerie existent bel et bien, ils sont signes de notre incapacité à gérer ces fragilités. Que ce temps d'avent soit pour nous un moment privilégie de repartir à la découverte de nos soucis véritables. De les reconnaître comme tel et puis de les poser tendrement en toute confiance en Dieu. Alors toutes et tous nous pourrons nous trouver debout devant le Fils de l'homme. Cela se vit de manière toute simple. Le dépôt de nos soucis est aussi une superbe forme de prière. Et c'est à cela que l'évangile nous invite aujourd'hui.
Amen.