Ces textes sont beaux, il est vrai mais lorsque nous célébrons souvent de tels événements, nous serions aussi heureux d'en découvrir d'autres. Il y a aussi des tubes liés à certains lieux et je pense bien évidemment à un hôpital où une des phrases fétiches est : « et oui, Monsieur l'Aumônier, il faut bien un jour porter sa croix comme le Christ nous le demande ». Puisque cette dernière phrase semble s'inspirer de l'évangile de ce jour, je souhaiterais que nous nous y arrêtions quelques instants. « Porter sa croix » mais qu'est-ce à dire ? Le Fils de Dieu nous demande-t-il vraiment d'entrer dans un monde de souffrance et de nous laisser écraser par cette dernière pour mieux le suivre ? Sommes-nous toutes et tous obligés de passer par un tel chemin ? Non seulement, nous devrions porter notre croix mais en plus nous sommes auparavant priés de renoncer à nous-mêmes ? Renoncer à soi, prendre sa croix puis le suivre. Ces trois verbes nous invite à entrer dans une dynamique divine. Dès lors, reprenons-les dans une perspective positive. Renoncer à soi-même ne signifie pas se nier, se laisser écraser par les circonstances ou encore ne plus exister par soi-même. Renoncer à soi, c'est accepter de ne plus se laisser guider uniquement par les contingences matérielles de ce monde. C'est peut-être surtout oser inscrire sa vie dans quelque chose de plus grand que nous, dans un espace qui nous dépasse car nous entrons dans une dimension d'éternité divine dont nous sommes incapables de saisir tous les contours tellement ceux-ci semblent immense à déchiffrer. Renoncer à soi, c'est faire le pari de la Vie tout en quittant son propre ego pour nous laisser guider par l'Esprit de Dieu qui nous tend la main. Ayant renoncé à moi-même pour moi-même tout en m'inscrivant dans plus grand que moi, je suis alors invité à prendre ma croix, c'est-à-dire à quitter la route habituelle de ma vie pour grimper au balcon de la Vie. Lorsque nous sommes confrontés à l'expérience de la souffrance ou de la maladie, nous marchons pleinement sur la route de notre histoire. Nous pouvons être pris d'un vertige car nous ne voyons pas le bout de ce qui nous arrive. La désespérance peut venir envenimer notre existence. Dieu nous prie alors de prendre notre croix, c'est-à-dire de nous surélever par rapport à nous-mêmes et d'oser aller voir plus loin que nous-mêmes. En prenant ma croix, je prends de la hauteur et je peux commencer à voir certains méandres de mon chemin, à percevoir l'étendue de l'horizon qui s'ouvre à moi et qui me dépasse complètement. Au balcon de mon être, je peux me laisser envahir par la beauté de ce qui semble tellement plus grand que moi et qui trouve sa source en Dieu. Ayant renoncé à moi et ayant pris ma croix, je peux alors commencer à suivre le Christ. Il ne s'agit donc pas de souffrir pour souffrir. Loin s'en faut. Il s'agit plutôt d'entrer dans une forme de dynamique divine, une nouvelle espérance, un feu dévorant qui ne s'éteindra jamais puisqu'il est en Dieu. La dure réalité de la vie nous fait parfois achopper sur certaines pierres qui nous confrontent alors à l'insensé, voire l'absurdité de ce qui nous arrive. Puis en laissant le temps au temps, cette pierre d'achoppement peut avec l'aide de celles et ceux qui nous accompagnent dans la tendresse de leurs gestes et de leurs mots devenir une pierre angulaire, c'est-à-dire la découverte de quelque chose de nouveau, de plus grand encore et qui pourra même aller jusqu'au-delà de tout entendement. Me revient en mémoire, l'histoire de cet aveugle qui mendiait. Il avait devant lui un petit écriteau où l'on pouvait lire : « je suis aveugle, aidez-moi s'il vous plaît ». Peu de gens lui donnait quelque chose. Une femme passant par là, prit l'écriteau, écrivit quelques mots de l'autre côté et le déposa. Quelques heures après, le chapeau de l'aveugle était plein de pièces et de billets. Sur l'écriteau, elle avait écrit : « Aujourd'hui, c'est le printemps, je ne peux pas le voir mais vous qui avez cette chance, profitez-en ». Renoncer à soi, prendre sa croix et suivre le Christ, c'est peut-être tout simplement alors apprendre à voir la vie autrement, c'est-à-dire à regarder et apprécier la vie mais cette fois avec les yeux de Dieu.
Amen.