Honnêtement, sommes-nous si différents de ce jeune de dix-neuf ans dans notre relation à Dieu ? Ne voulons-nous pas tout à la fois, c'est-à-dire une liberté totale à son égard et en même temps sa toute-puissance pour contrer le cours des événements naturels ou non lorsque ces derniers nous frappent de manière injuste à nos yeux ? Liberté humaine et toute-puissance divine semblent être deux concepts antagonistes, voire contradictoires. Sauf si nous acceptons que la toute-puissance de Dieu ne lui permet pas d'interférer dans les réalités ici-bas mais qu'elle est plutôt symbole d'une toute puissance d'amour qui se traduit dans les gestes et les regards que nous posons sur cette terre.
Nous n'avons rien inventé puisque le prophète Habacuc gémissait déjà à son époque : " combien de temps, Seigneur, vais-je t'appeler au secours, et tu n'entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! Pourquoi m'obliges-tu à voir l'abomination et restes-tu à regarder notre misère ? ". Ces mots nous pourrions les faire nôtres aujourd'hui. Un Dieu bien silencieux face aux souffrances de notre monde. Tant d'injustices à combattre. Il est vrai qu'il est heureux que toutes ces souffrances soient injustes et que nous en prenions conscience. En effet, une souffrance juste serait tellement plus injuste qu'une souffrance injuste. Si la souffrance est juste, elle est méritée, elle est la conséquence de nos attitudes et nous développerions à l'égard des personnes souffrantes une attitude de dédain avec des mots du style : " puisque c'est juste, c'est ton problème, débrouille-toi. N'espère pas que je t'aide et je vais d'ailleurs militer pour qu'il n'y ait plus aucune aide sociale et médicale subsidiées. Je n'ai pas à payer pour les erreurs des autres qui subissent une juste souffrance ". La souffrance juste conduit à l'injustice d'où il est bon de se rappeler que c'est l'injustice de celle-ci qui nous permet de nous rendre vulnérable à la souffrance de l'autre.
Parce que c'est injuste, chacune et chacun, nous développons des sentiments de compassion, d'empathie, voire d'amour. L'injustice du mal et de la souffrance nous touchent profondément et nous convient à ne pas rester de simples spectateurs. En tant qu'être humain, Dieu attend de nous que nous soyons acteurs de la création qu'il nous a confiée. Comment faire ? En ayant foi en nous, ou pour être encore plus précis en ayant foi en Dieu l'Esprit qui inhabite au plus profond de chaque être. Une foi à transporter les montagnes. Pas l'Everest, le Kilimanjaro ou encore le signal de Botrange pour les belges de cette assemblée. Non la montagne de l'évangile est une montagne toute spéciale. Elle ne se gravit pas. Elle envahit nos émotions et nos sentiments. Elle nous permet de nous lever et de partir à la rencontre de celles et ceux qui sont en souffrance. Face à ces dernières, nous pouvons nous lamenter et crier : " mais où est Dieu dans tout cela ? Si au moins il était là ". Et lui de nous répondre de la même manière : " mais où est l'être humain dans tout cela ? Si au moins, il y avait un être humain ".
Ayant reçu la liberté de Dieu, nous devons humblement reconnaître que c'est à nous maintenant d'agir avec la toute-puissance divine d'amour qui nous a été donnée. Nous pouvons ensemble combattre les maux et accompagner dans la tendresse les souffrances injustes. Mais pour ce faire, il y a lieu d'avoir d'abord cette foi en nous. Une foi aussi grande que toutes les montagnes de la terre car nous vivons avec cette intime conviction que tout devient possible puisque nos paroles et nos gestes sont guidés par l'Esprit de Dieu. Nous ne renversons sans doute pas le cours des événements mais par nos attitudes positives, nous permettrons à d'autres de mieux les traverser. Alors, acteur ou spectateur ? Libre ou esclave ? Responsable ou lâche ? Ce qui est certain, c'est que nous n'aurons jamais en même temps, le beurre et l'argent du beurre.
Amen.