Un peu commes ces dix lépreux, ils sont anonymes et vivent dans un village tout aussi anonyme. Si des habitants vivent dans ce lieu, ils sont également anonymes car ils ne viennent ni à la rencontre de Jésus, ni ne vont le rejeter. Leur anonymat est complet. Et enfin, il en va de même avec les prêtres. Une fois encore un groupe bien anonyme. C’est comme si nous étions entrés dans une nouvelle région appelée l’Anonymie. Or un tel type d’anonymat n’est pas humain. Toutes et tous, nous avons besoin d’être aimés et reconnus pour ce que nous sommes et ce, même lorsque nous sommes traversés par la fragilité de la vie, lorsque nous sommes marqués par des lèpres intérieures. Il faut bien le reconnaître, si la lèpre a disparu de nos régions, il en existe toujours de nombreuses qui, tout comme cette maladie, conduise au rejet d’êtres humains. Les lèpres contemporaines portent le nom de racisme, d’homophobie, d’exclusion de toutes personnes étant différentes de nous. Alors lorsque ces lèpres prennent le dessus, elles conduisent l’être humain à s’enfermer à nouveau dans une forme d’anonymat afin de ne pas devoir souffrir de toutes ces paroles dures et excluantes. Mais alors comment sortir d’une telle réalité mortifère ? Peut-être finalement qu’il suffit de faire comme ces dix lépreux ou encore comme le général syrien Naaman, c’est-à-dire d’accepter de s’en remettre à quelqu’un d’autre ou pour le dire autrement de pouvoir se déposer en un autre être humain tout en confiance. Par définition, nous sommes des êtres relationnels. La relation nous a précédé puisque nous sommes nés de l’une d’entre elles et que nous sommes nourris par elles. Nous ne pouvons pas nous en passer. La relation est d’ordre vital. Il est donc essentiel d’oser nous en remettre à d’autres pour déposer tout ce qui nous encombre, nous anéantit et nous entraîne dans une spirale anonyme de laquelle il peut parfois nous sembler bien difficile de sortir. Oui, osons nous en remettre à celles et ceux qui croisent notre route et qui posent un regard de bienveillance à notre égard. Il suffit parfois d’un simple regard dit le psychiatre Boris Cyrulnik pour qu’un être humain puisse entrer en résilience. Un simple regard et voilà, qu’un être humain peut se libérer de ses lèpres intérieures pour marcher à nouveau librement sur le chemin de sa propre vie. Et c’est encore mieux si ce regard peut se poursuivre par une parole qui encourage à la reprise de la vie, comme Jésus l’a fait avec les dix lépreux. “A cette vue, il leur dit: ‘allez vous montrer aux prêtres’”. Quelques mots, tout simples mais qui nous relèvent en nous purifiant de ce qui nous encombrent. Cette purification intérieure est un don merveilleux qu’il nous est donné à vivre chaque fois que nous nous déposons en l’autre ou que nous nous confions au Tout-Autre. C’est sans doute ce que les neuf lépreux n’avaient pas compris. Pour eux, c’était vraisemblablement un dû. Puisque c’est un dû, il n’y a pas lieu de remercier. C’était tout simplement normal. Mais la vie n’est pas un dû. Elle est un don. Trop souvent, aujourd’hui encore, nous considérons qu’un ensemble de gestes, de paroles nous sont dûes. Nous sommes en droit de les recevoir et nous sommes épris de sentiments négatifs lorsqu’ils n’arrivent pas. Si je souffre, je suis en droit d’attendre de la compassion et de l’empathie des autres et s’ils ne m’en donnent pas la colère peut m’envahir. Une fois encore, ces sentiments nobles ne sont pas des dûs mais des dons. Ne pensez-vous pas que la vie serait plus simple et plus belle à vivre si nous étions capables de reconnaître que rien ne nous est dû mais que tout est don. Si rien ne m’est dû, je n’ai plus d’attentes précises et j’accueille tout ce que je peux recevoir. Prenant ainsi conscience que tout est don, je suis alors invité à entrer dans un chemin de reconnaissance pour toutes les attentions reçues. Je peux alors me tourner vers le Dieu révélé en Jésus-Christ pour lui rendre grâce de tous ces petits bienfaits qui jalonnent nos journées. Rien ne nous est dû, tout est don. C’est ce que le lépreux samaritain avait compris. Faisons de même et Jésus susurrera au creux de notre coeur: “relève-toi et va, ta foi t’a sauvé”.
Amen.