Des exemples comme cela, il en existe des centaines... En effet, bien souvent chez quelqu'un, un détail, une réalité focalise toute notre attention... Nous avons tous des manières différentes et propres à chacun de regarder les personnes qui nous entourent, que nous rencontrons mais parfois, nous ne pouvons voir certaines personnes qu'en fonction d'un aspect particulier... Notre regard est guidé. Cela est plus fort que nous.
Il me semble que l'évangile de ce jour n'est pas étranger à cette expérience du regard. En effet, Pierre, Jacques et Jean, à l'écart sur la montagne, ne font pas la rencontre d'un « nouveau Jésus, -fût-il resplendissant.- Non, ils posent sur lui, un regard nouveau et lui donnent un nouveau visage. Ces disciples ont véritablement un regard nouveau sur Jésus en fonction d'un seul aspect qui conditionne toute leur vision : la résurrection que, dans le récit de l'Evangile de Matthieu, Jésus vient d'annoncer. Après cette annonce publique, Pierre, Jacques et Jean ne peuvent dès lors que transformer leur regard qu'ils posent sur Jésus... pour ne voir en Lui, que le Christ resplendissant, préfiguration de sa résurrection...
Dès lors, ce que nous avons peut-être à apprendre ou à réapprendre avec cet évangile, c'est à redécouvrir la puissance du regard. Je pense en réalité que le regard que nous posons sur les personnes dit parfois plus que les mots. Et bien plus encore, notre regard constitue notre monde et la réalité qui nous entoure. Un regard aimant rend une personne aimée. Finalement, un visage n'a de sens et n'existe pleinement que pour les yeux et par les yeux qui le regardent.
Le récit de la transfiguration nous invite donc à ne pas voir en Jésus seulement un homme, éclairé et resplendissant, mais aussi Dieu, source de toute lumière ; non pas un prophète de Dieu comme Elie, mais le Dieu des prophètes ; non pas un homme de la Loi comme Moïse, mais la source de la Loi... Et si Dieu a pour nous de multiples visages, c'est peut-être parce que nous avons de multiples manières de le regarder. Mais pour ne voir que Lui comme les disciples, il faut se lancer sur un chemin inconnu et partir pour le grand voyage de la foi et, comme Abraham, quitter le pays de nos certitudes, quitter la famille habituelle de nos visages de Dieu, quitter la maison qui nous sécurise dans la foi pour partir... afin de rencontrer parmi les multiples visages de Dieu, l'unique nécessaire sur lequel nous voulons poser notre regard. Alors peut-être, serons-nous transfigurés ?
Si Abraham est le père de la foi, permettez-moi de conclure audacieusement avec un grand penseur bien loin de la famille des croyants : Friedrich Nietzsche. Il a dit un jour : « Je croirais au Dieu des chrétiens si ces derniers avaient un peu plus des visages de bonne nouvelle. » Je crois que c'est profondément juste. Il nous appartient d'être transfigurés. La transfiguration n'est-elle pas d'abord la transformation de notre regard destiné à accueillir le Christ ressuscité pour le faire exister dans nos vies et le faire rayonner sur nos visages ? A chacun d'entre nous de le vivre pour que l'on puisse dire un jour de nous que nous avons eu, ne serait-ce que l'espace d'un instant, des visages transfigurés par la bonne nouvelle de la résurrection.
Amen