Si je vous dis cela, ce n'est pas pour débattre du bien fondé de l'homéopathie, ou pour justifier ma technique un peu étrange qui veut que lorsque j'ai une forte fièvre -comme pas plus tard qu'hier-, je m'emmitoufle dans de chaudes couvertures pour avoir encore plus chaud ! Si je vous dis cela, c'est parce qu'une ambiguïté similaire semble traverser le début l'évangile d'aujourd'hui. « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. »
L'histoire du livre des Nombres vous est sans doute connue : dans la marche au désert, alors que le peuple d'Israël était attaqué par des serpents, Dieu donna ce remède à Moïse : celui de mettre un serpent de bronze sur un mât, pour que quiconque le regarde soit guéri. Un serpent enroulé autour d'un mât : voilà un symbole qui jusqu'à ce jour a toujours signifié la guérison. Et c'est d'ailleurs le symbole de nombreuses organisations médicales ! Nous voilà donc face à notre paradoxe ! Pourquoi le serpent -source du mal- deviendrait-il symbole de guérison ? Le problème est-il la solution ? Comme si le venin était salutaire... Cela signifie-t-il qu'à certaines doses, tout peut être guéri, par homéopathie ?
Tout se complique, lorsque notre évangéliste met en parallèle le serpent et la croix... Certes, vous pourriez me dire que dans certaines cultures, le serpent est vu comme une force positive. Mais dans le monde juif, il en va tout autrement. Le serpent est véritablement le symbole d'une force négative, qu'elle soit dans le monde ou bien en nous. Alors en quoi l'élévation du serpent peut-elle sauver ?
Il me semble qu'un indice de réponse nous est donné dans la lecture de Saint Paul aux Ephésiens, que nous avons entendue. « Avec lui, il nous a ressuscités... Cela ne vient pas de vos actes. C'est Dieu qui nous a faits, il nous a créés en Jésus Christ ». Avec lui, il nous a élevés, pourrions-nous dire.
Si Jésus nous sauve par sa croix, en assumant pleinement notre humanité blessée, il s'agit donc de l'homme plein et en entier qui est en nous. Pas la bonne part en nous. Pas le côté moralement bon. Il ne sert à rien de guérir les bien portants. Le serpent élevé sur la croix, c'est un peu le symbole de nos faiblesses, que le Christ vient relever par son amour. Par le signe de la croix, nous pouvons entretenir l'espoir que nos fragilités, nos serpents peuvent toujours être élevés, guéris, transformés. Cela ne peut venir de nous, mais seulement de celui qui vient nous rencontrer où nous sommes.
En effet, pour la première fois dans l'évangile de Jean, dans le récit de la rencontre avec Nicodème, Jésus se présente comme fils de l'homme, une expression presque toujours mise sur les lèvres de Jésus. Jésus se présente ici comme une figure humble, un fils d'Adam, partageant avant tout la fragilité de l'humanité.
Voilà ce que j'appellerais l'homéopathie de Dieu. Dieu nous prend où nous sommes et il fait de nos faiblesses des forces pour guérir. Ou plus exactement, nous pourrions dire -symboliquement toujours- que la technique de Dieu est une homopathie. Dieu ne soigne pas la fragilité, il soigne par la fragilité. Et il ne nous sauve pas de nous-mêmes, mais il s'est fait l'un de nous, pour que nous soyons toujours plus nous-mêmes, plus humains.
Par l'incarnation, donc, Dieu a décidé de faire du problème, la solution ! Par l'incarnation, Dieu tire l'humanité fragile vers la tendresse Dieu. Par l'incarnation, la souffrance des hommes peut rejoindre le coeur de Dieu. Dieu se fait donc vrai homme pour rencontrer réellement nos faiblesses et les relever. Oui, d'une certaine manière, par l'incarnation du Fils, le problème devient la solution. L'humanité vécue jusqu'au bout, dans la lumière, nous ouvre un nouveau chemin de destinée et de divinité.
Telle est une part de la folie incompréhensible du message Chrétien. Mais cette incompréhensibilité de Dieu, aujourd'hui, peut devenir paradoxalement une clé de compréhension de l'homme, et de sa destinée. Car de même que c'est en regardant le mât avec le serpent que le peuple d'Israël a trouvé la guérison dans le désert ; de même, en ce temps de Carême, nous grandirons si nous nous montrons capable de regarder en face nos faiblesses et nos fragilités.