Me revient en mémoire ce qu’écrivit le frère Paul Murray dans ce livre qui vient de paraître « Le vin nouveau de la spiritualité dominicaine – Un nectar nommé bonheur » et que je vous invite à lire : vous comprendrez mieux qui nous sommes. Je le cite : « Alors que je venais de rentrer dans l’Ordre des dominicains et que je n’étais donc que novice, je me souviens d’avoir posé une question sur le caractère distinct de la spiritualité dominicaine à l’un des prêtres les plus âgés de la communauté. C’était une question typique de novice aussi sincère et sérieuse que naïve. ‘C’est quoi le secret de la contemplation dominicaine ?’, lui demandai-je. Le vieux frère hésita un instant. Il me sourit. Puis il dit : ‘Frère Paul, ne le dites jamais aux carmélites ni aux jésuites mais nous n’avons d’autre secret que le secret de l’évangile’ ». Cependant, continua-t-il, « cependant, en tant que dominicain, je peux te révéler deux grandes lois de la contemplation. Avec enthousiasme, le novice prit tout de suite un papier et un crayon. Et le vieux frère lui dit : « La première loi - c'est de prier. Et la deuxième loi - c'est de continuer! ». En d’autres termes, la prière est une chose facile. C’est peut-être même la chose la plus facile au monde – tout au moins une certaine forme de prière. Cette affirmation peut sembler quelque peu naïve à première vue. Toutefois, elle a ses racines dans l’Evangile. N’est-ce pas là que le Christ nous encourage à prier d’un cœur simple dans le dialogue le plus direct comme cette superbe prière d’aujourd’hui où Jésus s’adresse à son Père. En aucune manière la prière ne peut être directive, codifiée, dirigée voire rigide car l’ennui risque alors de nous envahir et sans nul doute, Dieu partagera cet ennui. La prière doit être simple. Elle se dit avec les mots de notre propre cœur. Pour vivre la simplicité de la prière, il nous faut peut-être, avant de nous mettre à lever les yeux au Ciel et à prier Dieu, le laisser prier en nous. Laisser Dieu prier en nous, c’est retrouver notre intériorité, c’est faire taire le vacarme de la vie, c’est offrir à Dieu tout notre espace pour que nous puissions être avec Lui et ressentir au plus profond de notre cœur cet amour qui nous unit à Lui. Au plus intime de notre intime lorsque nous laissons Dieu nous visiter, nous vivons à notre tour cette unité telle qu’elle est décrite par le Fils lorsqu’il s’adresse à son Père. C’est donc bien à Dieu qu’appartient la première initiative. L’amour contemplatif que nous vivons, nous fait prendre ainsi conscience que ce n’est pas d’abord nous qui contemplons Dieu mais plutôt que c’est Dieu qui nous a contemplés et qu’il est maintenant en nous. Dieu regarde le monde et ce qu’il contient avec nous et à travers nous. Le but de la prière, constate Simone Weil, « n’est pas de voir Dieu en toute chose ; c’est que Dieu, à travers nous puisse voir ce que nous voyons ». Dieu doit être avec le sujet. Le contemplatif devient ainsi la personne qui reconnaît que sa contemplation vient d’abord de Dieu et qu’il est ensuite appelé à aller vers les autres avec le regard de Dieu. La contemplation ne s’enferme donc jamais en elle-même. Elle est porteuse de fruits lorsqu’elle devient agissante. La contemplation se réalise dans notre manière de vivre notre vie. L’amour contemplatif prend sa source en Dieu pour rayonner ensuite de celui-ci partout où nous sommes. Le nectar de notre contemplation se laisse découvrir dans ce bonheur divin que nous nous offrons les uns aux autres.
Amen.