Et pourtant, pourtant si Judas n’avait pas existé, s’il n’avait pas trahi le Christ, comment le Fils de Dieu aurait-il pu entamer son chemin de passion et de résurrection ? Judas n’est-il pas la clé de voûte sur qui repose toute la responsabilité de tout ce qui va suivre ? En d’autres termes, Judas était-il le traître qu’on nous a toujours présenté ou bien est-il, comme le raconte le philosophe romancier Eric-Emmanuel Schmitt dans son livre « L’évangile selon Pilate », le seul apôtre qui avait vraiment compris qu’il fallait qu’une trahison puisse se vivre afin que Jésus soit à même d’aller jusqu’au bout de ce qu’il lui était demandé. Dans cette dernière hypothèse, Judas aurait donc agi à contre cœur mais en pleine connaissance de l’importance de son geste pour que le monde soit sauvé. Alors, finalement, Judas est-il un simple traître ou plutôt le seul disciple intelligent qui avait compris qu’il devait poser un acte à contre cœur pour permettre que le dessein de Dieu se réalise ? Face à une telle question, sur cette terre, nous ne le saurons jamais avec certitude. J’ose espérer que les clés d’un tel mystère nous seront dévoilées dans la vie éternelle lorsque toutes et tous, nous serons en Dieu.
Toutefois, même sans avoir été capables de résoudre ce mystère, nous pouvons en tirer une leçon pour notre vie d’aujourd’hui. En effet, nous aussi, il nous arrive parfois de faire des choses à contre cœur et en plus, ironie du sort, nous les faisons au nom même de l’amour qui nous habite. Cette affirmation peut en étonner quelques uns mais pourtant, combien de parents ne sont-ils pas, à un moment donné ou l’autre, obligés de prendre des décisions douloureuses pour le bien de leurs propres enfants alors que ces derniers ne les comprennent pas ? Combien d’entre nous n’ont-ils pas pris leurs responsabilités alors que celles-ci étaient difficiles voire douloureuses à vivre et tout cela, au nom de l’amour que nous portons à celles et ceux pour qui nous les prenions ? N’est-ce pas le sens même de notre condition humaine ? Dans cette logique, notre terre est bien loin d’être un paradis merveilleux où tout se vivrait en douceur. Non, la création est là pour nous permettre d’avancer, d’acquérir la ressemblance à laquelle toutes et tous nous sommes destinés. La création donnée par Dieu à ses créatures est le lieu par excellence où nous sommes conviés à prendre certaines décisions qui sont en accord avec nous-mêmes, c’est-à-dire en accord avec ce que nous pensons être à la fois bon, juste et judicieux. De la sorte, nous sommes ainsi unifiés à nous-mêmes. Et cette unification est nécessaire pour grimper sur la montagne de la vie. Mais elle ne se suffit pas à elle-même. En effet, dans la foi, nous cherchons également à être unifié avec le Père, dans le Fils et par l’Esprit. Tel est le sens de la prière de Jésus adressée à Dieu : « Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes ». L’unité divine, à laquelle toutes et tous nous sommes appelés, se réalise lorsque nos décisions sont ajustées à notre destinée. A cet instant très précis, la vie sonne juste, car nous nous inscrivons dans la perspective de ce que Dieu attend de chacune et chacun de nous. Comment en être sûr ? C’est très simple. Il suffit de se laisser inspirer par l’Esprit Saint qui se dévoile à nous de multiples manières. Ayons le cœur ouvert à cette effusion qui nous sera à nouveau donnée dans l’événement de la Pentecôte. Ne soyons pas impatients. Pour recevoir ce magnifique don de Dieu, il nous faut, comme le dirait un enfant, encore juste sept fois dormir.
Amen.