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Répertoire
Philippe Henne
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26ème Dimanche ordinaire

Voici une histoire bien connue : celle du pauvre Lazare et de l’homme riche. Elle est bien connue et elle est un peu dérangeante...

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Rafraîchissoir, majolique, British Museum - crédit photo : Wikimedia commons

La première question qui se pose est de savoir pourquoi le monde de l’enfer et celui du paradis sont tellement séparés que nul ne peut en franchir la frontière.

Il y a aussi une autre question qui dérange : pourquoi Abraham dit-il à l’homme riche qu’il est puni parce qu’il a bien profité de la vie, alors que Lazare qui a beaucoup souffert dans sa vie a droit à la grande consolation du ciel ? Faut-il être pauvre et miséreux pour aller au paradis ? Est-il interdit d’être riche ou tout simplement d’avoir assez d’argent pour pouvoir vivre ? Est-il interdit d’être heureux sur terre ?

Face à ces questions, saint Luc a des positions très tranchées. C’est lui, et rien que lui, qui prononce des malédictions contre les riches : « malheur à vous, les riches !, car vous avez votre consolation ». En d’autres termes, malheur à vous qui avez la belle vie maintenant, parce qu’après ce sera terminé. Et, pour être sûr que le lecteur comprenne bien, saint Luc ajoute cette nouvelle malédiction : « malheur à vous qui êtes repus maintenant !, car vous aurez faim » (Luc 6, 24 - 25).

Cette violence étonne chez saint Luc, parce qu’il n’est pas tout le temps comme ça. Bien au contraire ! Il y a quinze jours, on avait lu la parabole du fils prodigue. C’était l’histoire de l’amour infini du père pour son fils qui avait fait les pires bêtises. On a envie de dire : ça c’est facile; à lui, on pardonne tout, tandis qu’à l’homme riche, on ne lui donne même pas une goutte d’eau alors qu’il souffre tellement. Quelle est la règle de justice dans ces différents traitements ?


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Joseph Bassano, Lazare et le riche, +/- 1550, Musée de Cleveland - crédit photo : wikimedia commons

La faute, la faute que l’homme riche a commise, c’est de ne pas avoir vu, ou de ne pas avoir voulu voir, la misère du pauvre Lazare.

Il n’était pas loin, ce mendiant. Il était gisant près du portail. Quand il sortait, l’homme riche ne pouvait pas ne pas le voir. Quand il rentrait, Lazare était toujours là. Mais le pire, c’est que l’homme riche n’a aucun remords. Il ne regrette pas d’avoir négligé Lazare. Il ne s’interroge même pas sur sa santé, ou sur ce qu’il fait près d’Abraham. L’homme riche ne dit qu’une seule chose : « aie pitié de moi », alors qu’il n’a jamais eu aucune pitié, aucun intérêt pour les gens autour de lui. Le fils prodigue, lui, a eu du remords. Il voulait s’accuser de son ingratitude en arrivant chez son père, mais l’homme riche ne fait jamais qu’une seule chose : penser à lui.

Et c’est là sans doute une façon de voir notre vie sur terre. Le plus important n’est pas d’éviter tous les péchés. Le plus important, c’est d’apprendre à ouvrir notre coeur à l’amour de Dieu et à la détresse du monde autour de nous. Il ne s’agit pas de tout abandonner et de tout donner aux plus pauvres. Il s’agit de faire de notre mieux, là où on est, comme la Vierge Marie avec Joseph, son chaste époux. Il y a toujours moyen de rêver d’une plus belle famille, d’un meilleur conjoint, d’une meilleure situation. Mais Marie, comme les apôtres, ont voulu partager la plus belle richesse qu’ils possédaient, connaître Jésus-Christ.

La misère n’est pas loin de nous. Elle peut être dans notre propre famille, dans la solitude dont souffre secrètement l’un de nos proches, dans la fatigue qui peut accabler notre conjoint.

C’est à nous d’ouvrir les yeux sur ce pauvre Lazare que nous croyons bien connaître, parce que c’est Jésus qui nous parle à travers lui.

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crédit photo : Lawrence Lew, OP