Quand on parle des saints, nous ressentons tous comme un léger malaise et même parfois un mouvement d’impatience et de dégoût. Nous craignons tous qu’on nous propose une image douce et mièvre de l’humanité, la tête penchée, les yeux mi-clos, la bouche en cœur. C’était comme si l’idéal de la vie chrétienne serait un salon bourgeois, doux et feutré, où les personnes de bonne éducation murmurent et chuchotent. Ce serait comme si les bons chrétiens sortaient tous d’un pensionnat de jeunes filles tenu par des religieuses aussi vertueuses que revêches. Eh bien, non ! Les saints que je connais, et j’en connais beaucoup, ne sont pas tous des personnes douces et mièvres. Ce sont des hommes et des femmes forts et courageux dans la simplicité de leur vie. Je connais des saints, ai-je dit. Mais bien sûr, depuis quarante ans, j’étudie les Pères de l’Eglise et ce n’étaient pas des personnes qui vivaient dans la facilité. La plupart d’entre eux ont connu les persécutions. Ils ont encore dans les oreilles les cris des suppliciés. Ils ont encore dans les narines la puanteur des chairs brûlées. Ils ont encore dans le ventre la peur qui les ronge et les taraude. Ils ont non seulement les persécutions, mais aussi les divisions et les trahisons à l’intérieur même de leurs communautés. Je connais un évêque qui a été dénoncé par un chrétien et qui a été ainsi livré aux bêtes dans le grand cirque de Rome. J’en connais un autre qui a été chassé de son église par la jalousie et la méchanceté d’hommes soi-disant intelligents et tolérants. Et pourtant malgré toutes ces épreuves, ils n’ont pas sombré dans la rancune ou la mélancolie. Ils ont pu traverser toutes ces épreuves parce qu’ils se sont laissé emporter par ce qu’ils avaient reçu : l’immense amour de Dieu pour chacun d’entre nous et son infinie sollicitude de chaque instant. Et ils ont ainsi pu continuer à offrir ce qu’ils avaient reçu. Et c’est cela sans doute que nous aussi nous pouvons, nous devons offrir à tous nos frères.